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et, non moins heureux que les patriotes illyriens, ils ont rencontré une sympathie vivifiante chez toutes les populations de leur sang divisées entre les trois empires de Turquie, de Russie et d’Autriche. Le mouvement roumain, c’est ce travail politique des savans et des écrivains de la Moldo-Valachie, de la Transylvanie, de la Bessarabie et de la Bucovine, pour la réunion des huit millions de Roumains qui ont survécu à dix-sept siècles de cruelles épreuves. Du point de vue du principe de la nationalité fondé sur l’idée de race, ce peuple mutilé ne forme dès à présent qu’un seul corps, et le vaste territoire qui le contient dans son unité s’appelle la Romanie, sinon dans la langue des traités, au moins dans celle du patriotisme.


I.

Sitôt que, venant de l’ouest, on a franchi la Theiss, on est dans cette Romanie idéale. J’allais de Pesth, à travers la Transylvanie, à Bucharest, la ville de la joie, capitf de la Valachie et foyer principal de l’activité roumaine[1]. J’avais ainsi à parcourir les montagnes où la race est restée le plus intacte et les plaines où elle a le plus souffert, et je devais y rencontrer à chaque pas ou d’anciennes villes ou des ruines romaines : ainsi, Gyula (Alba-Julia), Clausembourg (Clusium, Claudiopolis), Hatzeg (Ulpia-Trajana), Hermanstadt (Proetoria-Augusta), le passage et les débris de la Tour-Rouge (Turris Trajana), puis la voie Trajane, suspendue au flanc des rochers au-dessus de la rivière torrentielle de l’Olto (Aluta). En tournant un peu à droite du côté du Danube, j’arrivais à Turnu-Severinu (Turris Severi) dont je contemplais les ruines, avec celles du pont de pierre jeté par Trajan sur le Danube en cet endroit, l’un des plus beaux de la Valachie, après quoi je pénétrais par les riantes collines du banat de Craïova dans les plaines immenses au milieu desquelles la ville quasi-française de Bucharest attend le voyageur épuisé par les fatigues d’une route pénible, mais ravi par la beauté des sites et par celle des populations.

Cette beauté des sites ne se révèle toutefois qu’à quelque distance de Bucharest. On doit même avouer que l’entrée du pays roumain par la Hongrie septentrionale offre d’abord un aspect désolant. L’on se trouve tout d’un coup au milieu d’une de ces steppes incultes, désertes, uniformes, qui ne sont point entièrement rebelles à la culture, mais que la charrue délaisse volontiers pour un sol plus généreux non encore envahi tout entier par le travail. De loin en loin, des tertres dus à la main de l’homme et destinés sans doute à marquer des sépultures d’une époque reculée, quelques puits à bec de grue placés sur la route

  1. Le nom roumain de Bucharest est Bucuresci, qui se prononce Boucouresti.