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puissance que les Grecs s’étaient assume, il fallait que le peuple roumain retrouvât quelques-uns de ses élans d’autrefois, et se levât en masse contre ses oppresseurs, sans effrayer toutefois les Turcs, ces maîtres insoucians et mal renseignés, qui n’étaient coupables que d’aveuglement et d’indifférence. C’est ce qui eut lieu en 1821 dans des circonstances presque solennelles, qui, en mettant les Roumains aux prises avec les Fanariotes et avec tous les Grecs, sur le terrain le plus élevé, montrent sous son vrai jour le caractère de leur animosité sanglante.

Au moment où les Moldo-Valaques, sous la conduite d’un chef résolu, Théodore Vladimiresco, se déclaraient en état de révolution flagrante, et prétendaient substituer des princes nationaux aux princes fanariotes, le président des hétairistes, Alexandre Ypsilanti, s’élançant de la Russie méridionale vers la Grèce, était entré sur le territoire des principautés et appelait les Moldo-Valaques à la guerre de l’indépendance au nom de l’intérêt chrétien et hellénique. Bien que la cause des Hellènes du Péloponèse ne fût point liée à celle du Fanar, dont ils n’avaient guère éprouvé jusqu’alors que des vexations, bien que la condition de l’Hellade pût paraître assez semblable à celle de la Romanie, qu’arriva-t-il cependant ? C’est que Vladimiresco et les Moldo-Valaques refusèrent de s’associer aux projets d’Ypsilanti et des Grecs ; c’est qu’ils aimèrent mieux rester les vassaux des Turcs que de courir la chance d’un affranchissement en commun avec les Grecs. Vladimiresco promit de livrer passage aux compagnons d’Ypsilanti, impatiens de pénétrer dans la Turquie slave, en les engageant à compter encore sur l’hospitalité roumaine en cas d’échecs ; mais il déclara qu’il ne voulait, pour sa part, qu’exercer sur les Turcs une pression morale et chasser à tout jamais les Fanariotes des principautés. On sait que les hétairistes furent battus par les troupes ottomanes, qui apportaient aux Valaques des paroles consolantes et qui leur devaient, en effet, de la reconnaissance autant que de la justice. Toutefois, avant que cette crise arrivât à son terme, elle avait été marquée par un incident sinistre. Vladimiresco, pris dans un piége sous prétexte de conférences et de négociations, avait été assassiné, coupé en morceaux, jeté à la voirie par la propre main des deux aides-de-camp et du secrétaire d’Ypsilanti. Ainsi le premier objet que le roumanisme moderne ait vu en naissant, c’est le cadavre en lambeaux du meilleur des patriotes immolé à la vengeance des Grecs. La pensée nationale était donc entraînée par la déplorable fatalité des événemens et par des crimes nouveaux à une lutte sans merci contre l’influence grecque, que les Turcs, mieux instruits et mieux inspirés, étaient enfin décidés à lui sacrifier entièrement.

Avant de suivre le roumanisme dans ses diverses évolutions, il est urgent de remarquer combien la tentative de Vladimiresco tirait de force du développement scientifique et littéraire qui, du fond de la méditative