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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/124

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et d’histoire dans lesquelles revivaient encore la langue et les traditions roumaines.

La poésie elle-même, émue profondément par ce coup de foudre qui venait d’éclater sur la Transylvanie, sortit bientôt du cœur du peuple où elle se tenait cachée par humilité, et, sous le voile de la fable ou à visage découvert, elle parla au pays de l’avenir comme l’histoire lui parlait du passé[1]. Ce mouvement littéraire, qui appartient aux premières années de ce siècle, est bien distinct de celui qui est né vers 1837 sur le même terrain, lorsque les Roumains y furent menacés et traqués par les Magyares. Tandis que celui-ci a été principalement défensif et politique et s’est tenu renfermé presque exclusivement dans la lutte des races de la Hongrie, celui-là, principalement littéraire, s’est accompli en vue de la Romanie et de l’unité roumaine. C’était un patriotique appel aux écrivains de la Moldo-Valachie, silencieux sous la terreur du joug fanariote, peu hardis à se vanter de leur nationalité et entourés de périls s’ils la servaient[2]. L’appel fut entendu, et les Moldo-Valaques, chez qui l’idiome roumain avait perdu tout droit politique au profit du grec, devenu langue officielle, eurent la satisfaction, sinon de changer complètement un état de choses si blessant pour leur fierté nationale, au moins de diminuer l’autorité du grec dans les relations privées et de rendre au roumain avec éclat une influence politique. Les deux principautés écoutèrent avec surprise et avec tressaillement ces accens nouveaux qui répondaient au secret langage de leur cœur et qui flattaient singulièrement leur désespoir, arrivé à son terme. Ce mouvement littéraire affluait, pour ainsi parler, dans le mouvement politique qui poussait Théodore Vladimiresco à la révolte ; le ruisseau venait grossir le fleuve, et ce grand courant d’opinion, dont la source remontait à l’invasion des Turcs et des Grecs en Moldo-Valachie, allait enfin déborder sur cette terre encombrée, vider les écuries d’Augias en entraînant les Grecs, et déblayer le sol généreux de la Romanie.

On était arrivé en 1821. La Porte Ottomane accorda un hatti-schérif qui consacrait en partie cet heureux événement « en considération de l’ingratitude des Grecs et de la fidélité des Valaques. » Grégoire Gicka fut nommé hospodar en Valachie et Jean Stourdza en Moldavie. La Romanie se voyait ainsi replacée sous l’administration d’un pouvoir

  1. Les noms les plus distingués de cette petite école sont ceux de Giorgovici, de Pierre Maïor, de Chichendela, de Sincaï et de Samuel Clein. Giorgovici s’est occupé principalement de grammaire, Pierre Maïor a traité des origines roumaines, et Chichendela a publié des fables qui sont devenues populaires. On ne doit pas oublier le savant Lazare, qui a puissamment contribué à la réorganisation des écoles nationales en Valachie.
  2. La Moldavie avait des chroniques en latin ou en roumain, telles que celles de Demetrius Cantemir, écrites au commencement du XVIIIe siècle. À la fin de ce même siècle, un membre de l’antique famille des Vacaresco avait essayé de susciter la littérature en Valachie par des travaux de linguistique.