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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/139

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peuple ou gouvernement, veut empêcher le panslavisme de dompter ou de tromper les Slaves de l’Autriche et de la Turquie. Réunis aux Magyares de la Hongrie, avec lesquels ils forment douze millions d’hommes, les Roumains sont répandus de l’est à l’ouest, de la mer Noire aux portes de Vienne, sur un front de bataille qui, appuyant le tchékisme, fortifiant l’illyrisme dans le sentiment de son individualité et dans sa crainte des Russes, protège encore ce qui reste aujourd’hui de la race ottomane.

Cette position des principautés et l’attitude prise par les Moldo-Valaques depuis quelques années devraient sans contredit assurer à ces peuples l’attention et la bienveillance de la Turquie et des états de l’Europe occidentale, engagés avec elle dans cette question d’Orient, tant de fois traitée et jamais résolue. Et cependant que se passe-t-il sous nos yeux ? C’est que les Turcs, qui trouvent dans les Moldo-Valaques des vassaux d’une fidélité éprouvée, laissent la diplomatie russe ourdir à plaisir ses intrigues au milieu des principautés, se font quelquefois ses instrumens et se prêtent eux-mêmes, par négligence, à des actes destructifs de leur suzeraineté. D’un autre côté, la France et l’Angleterre, trop peu instruites peut-être des véritables ressources de la Turquie, ne songent nullement à empêcher les Moldo-Valaques d’être protégés ; elles les voient sans émotion dépensant une activité précieuse, digne d’un autre objet, à repousser un protectorat contraire à l’esprit et à la lettre des traités, et semblent ne pas comprendre encore que ces peuples délaissés luttent dans l’intérêt de tout l’Orient.

Toutefois, dût cet isolement se prolonger long-temps, celui qui a pu observer de près le mouvement roumain emporte la confiance que les Moldo-Valaques ne perdront point courage. Le terrain qu’ils occupent aujourd’hui, ils ont eu, en quelque sorte, à le reconquérir pied à pied. Dans cette voie pénible, ils ont marché sans appui du dehors, par des sacrifices et des dévouemens dont le mérite appartient à eux seuls. Ils ont ainsi d’avance et par leur seule énergie marqué leur place et leur rôle pour le jour où quelque grande vicissitude transformerait en réalités les rêves généreux de l’Europe orientale. L’orgueil de la pensée roumaine, ce serait de constituer alors une Romanie unitaire, et, pendant que les Illyriens de la Turquie et de l’Autriche rempliraient l’espace laissé vide par les Ottomans entre la rive droite du Danube et Constantinople, de former sur l’autre rive, entre la mer Noire et la Theiss ; un état assez fort pour prendre ou conserver vis-à-vis de la Russie, au nom des intérêts de l’Europe latine, le rôle d’une sentinelle vigilante et sûre. Tel est le vœu dont le mouvement roumain deviendra, nous l’espérons ; l’expression de plus en plus précise, et vraisemblablement ce n’est pas la France qui, bien informée, découragera jamais une pareille ambition.


H. DESPREZ.