Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le sien. La chapelle du Carmine, que Michel-Ange et Léonard avaient étudiée assidûment en quittant l’école du Ghirlandajo et de Verrocchio, cette chapelle où Masaccio a donné la mesure complète de son talent, fut pour Raphaël un enseignement dont la trace est facile à reconnaître dans les œuvres de sa seconde manière. Les peintures de Masaccio se recommandaient en effet à l’élève du Pérugin par un mérite singulier : toutes les têtes de la chapelle du Carmine ont une physionomie individuelle ; elles ne se distinguent ni par la grace, ni par l’élégance, mais elles présentent une variété merveilleuse de types étudiés d’après nature. Cet éloge ne s’adresse qu’à la partie de la chapelle peinte par Masaccio ; appliqué aux figures de Masolino Panicale, il manquerait de justesse. Or, chacun sait que les têtes du Pérugin ont le malheur d’appartenir presque toutes à la même famille, et cette parenté obstinée imprime aux compositions de l’auteur un cachet de monotonie. Masaccio, on s’en aperçoit sans peine, dessinait rarement une tête sans avoir le modèle devant les yeux ; il est même permis de croire qu’il ne modifiait pas volontiers la nature après l’avoir consultée. Désespérant de surpasser les types qu’il avait choisis dans la réalité, il s’efforçait de les reproduire aussi nettement qu’il le pouvait ; et si cette répugnance à corriger, à modifier la nature, nuit parfois à l’élégance de la composition, on ne peut nier qu’elle n’ajoute singulièrement à l’énergie, à la vie des personnages. Ce mérite ne pouvait manquer de frapper un esprit délicat et clairvoyant. Raphaël, d’après le témoignage de ses biographes, étudia la chapelle du Carmine avec autant de soin que les cartons de Michel-Ange et de Léonard. Si l’art de Masaccio est un art infiniment moins avancé, ce qui ne saurait nous surprendre, puisque Masaccio était mort quarante ans avant la naissance de Raphaël, il est utile cependant de consulter Masaccio même après Michel Ange et Léonard. A cet égard, l’opinion des artistes sérieux n’a jamais varié.

Raphaël se lia d’amitié avec Fra Bartolommeo, et il s’établit entre eux un échange de leçons. Le jeune Sanzio apprit de Fra Bartolommeo l’art de donner à ses figures une couleur plus éclatante et plus vigoureuse, et lui enseigna le choix des lignes et la perspective. Quant aux œuvres de Giotto et de Fra Angelico, Raphaël les a certainement consultées, mais on retrouverait difficilement la trace de ces deux maîtres en interrogeant la série entière de ses compositions. Il n’a pu voir sans émotion, sans attendrissement, les scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament retracées par ces deux imaginations si profondément religieuses, car Giotto et Fra Angelico seront éternellement admirés pour l’expression qu’ils ont su donner à leurs figures ; mais au temps de Giotto l’art du dessin n’était pas né et Fra Angelico, né plus d’un siècle après lui, contemporain de Masaccio, n’a jamais accordé dans ses compositions qu’une