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et dans le monde a sanctionné la nomination des représentans de la littérature nouvelle.

C’est en les accueillant que l’Académie a vu la vie rentrer dans son sein et a mis les rieurs de son côté, tant il est vrai que le mouvement finit par se communiquer aux assemblées les plus stationnaires, tant est grande l’influence de l’opinion dans ce monde brillant de l’intelligence ? Et, après tout, le beau mal qu’à l’heure où nous sommes, à la moitié du XIXe siècle, l’Académie française ne se compose pas exclusivement de littérateurs du directoire, d’écrivains qui trouvèrent jadis leur gloire à rimer une tragédie ou un madrigal ! Ce n’est pas que ce légitime renouvellement ne s’accomplisse sans quelques secousses. Dans un tel mouvement de transformation, il y a des heures de halte. L’Académie agit en personne prudente ; après un effort vigoureux, elle prend un moment de repos, et afin de contenter tout le monde, elle rend la parole à la littérature de l’empire pour maudire son siècle et accabler de son éloquence ou de son ironie les héros de la révolution littéraire. Aussi sa dernière séance a été vraiment une fête classique. L’illustre défunt qu’il s’agissait de célébrer était M. de Jouy, le récipiendaire était M. Empis, et M. Viennet était l’académicien chargé de donner l’accolade à l’auteur de la Mère et la Fille. On devine combien de traits malicieux ont dû égayer cette séance, à propos de cet honnête M. de Jouy, qui, au dire de ses panégyristes, était saisi d’une trépidation fébrile toutes les fois qu’il se trouvait en présence d’un contradicteur de Voltaire, ou qu’on louait devant lui la littérature moderne.

M. Empis, dans son discours, s’est très consciencieusement attaché à raconter la vie de M. de Jouy. Toute cette partie biographique n’est pas sans intérêt. M. Empis a fait un récit animé de tous les accidens à la suite desquels l’homme de lettres s’est révélé en M. de Jouy. Hélas ! que dirait l’honorable académicien, lui qui a fait plus d’une œuvre applaudie en son temps, lui, l’auteur de Tippo Saïb, de Sylla, et surtout des Hermites, s’il avait à constater que son remplaçant à l’Institut a cru intéresser par le récit de sa vie plus que par l’appréciation de ses livres ? Voilà cependant la vérité, qu’il y ait eu ou non parti pris chez M. Empis. Les incidens biographiques que contient son discours sont plus faits pour frapper l’attention que les détails littéraires. On dirait que le nouvel académicien a senti ce qu’il y aurait de difficile à prouver que M. de Jouy était un grand poète. M. Empis s’est interdit avec soin toute parole trop agressive contre une école opposée à celle qui comptait dans ses rangs l’auteur de l’Hermite de la Chaussée-d’Antin, et en cela il a fait preuve de bon goût. Nous aimons mieux applaudir à ce sentiment de réserve qu’insister sur d’autres portions de son discours et relever les étranges leçons d’histoire contemporaine qu’il nous donne lorsqu’il fait de M. de Polignac « un élève de Peel et de Canning. » Ceci peut être de la vérité académique, mais à coup sûr ce n’est pas de la vérité historique ou politique. Il est vrai que M. Empis, pour se justifier aux yeux de l’Académie, peut invoquer des précédens en ce genre d’appréciations. Comment, par exemple, l’académicien qui, en recevant M. de Rémusat, eut tant de traits heureux et réjouissans sur Abélard, se fâcherait-il d’un rapprochement bizarre ou paradoxal ? Vous voyez que M. Empis n’a pas perdu tout droit à l’indulgence de certains membres de l’Académie. Il a pu même trouver plus d’un secret complice lorsqu’il a proclamé, avec un courage digne d’éloges, son admiration