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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/181

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Mlle Alboni a été ravissante. La présence de cette jeune et vaillante recrue semble avoir ranimé, rajeuni les vieilles gloires de ce théâtre. Ce soir-là, Lablache avait trente ans. Il a joué don Magnifico avec une verve, une bouffonnerie sublime. Sa voix olympienne a soutenu, de son infatigable tocsin, les masses des chœurs et des ensembles ; dans le finale et dans le sextuor, cette voix, sur laquelle se détachaient les fines vocalises de Mlle Alboni, ressemblait à un bloc de granit où une main délicate aurait dessiné d’élégantes ciselures. Ronconi même chantait juste, et sa gaieté nerveuse, inquiète, contrastait admirablement avec la joyeuse et monumentale carrure de Lablache ; enfin Gardoni, cet élégant ténor à la voix pure et suave, complétait cet ensemble qui a rappelé les plus belles soirées du Théâtre-Italien.

Ainsi, il n’y a jamais à désespérer de l’art ; au moment où on est près de murmurer les mots d’abandon et de décadence, il suffit d’une jeune voix s’élevant tout à coup derrière un pupitre ou une rampe, pour ramener la foule, passionner les connaisseurs, ranimer les artistes, et remettre en lumière de délicieux chefs-d’œuvre. N’en sera-t-il pas de même dans la poésie et l’art dramatique ? N’arrivera-t-il pas une œuvre, un artiste, un moment qui ouvrira au théâtre moderne cet horizon tant de fois entrevu et tant de fois évanoui ? Le jour où s’offrirait ce nouveau sujet d’enthousiasme, de curiosité et d’étude, la sympathie et le succès ne lui feraient pas défaut. Le public est prêt à l’accueillir et à le comprendre ; il sait ce qu’il ne veut plus, et se prépare ainsi à savoir ce qu’il veut. La vogue soutenue du charmant proverbe d’un Caprice, l’empressement avec lequel on provoque d’autres tentatives dans la même voie, prouvent avec quelle rapidité prendrait l’étincelle, quels transports éclateraient devant une idée fine et vraie, prise au cœur même du monde actuel et développée par un véritable poète. Que l’art dramatique ne se décourage donc pas, surtout qu’il ne se laisse pas désorienter par des réactions imaginaires. Notre siècle approche de la cinquantaine ; il est temps qu’il renonce à ces variations de goût et d’humeur qui remettent sans cesse en question ce qui paraissait chose jugée. Ce qu’il nous faut, c’est un drame où nous retrouvions nos passions, une comédie où nous reconnaissions nos travers. Les formes vieillies ne peuvent pas rajeunir ; les moules brisés ne peuvent pas donner de nouvelles statues. On peut discuter sur le vrai, sur le faux, sur le beau, sur le laid ; la mort et la vie ne se discutent pas. On respecte les morts, mais on ne vit qu’avec les vivans ; on admire les monumens, mais on n’a affaire qu’aux hommes.


ARMAND DE PONTMARTIN.