Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ici induits en erreur, quand ils croyaient relever l’erreur d’autrui. La lettre où Loret rend compte de la représentation qui en fut donnée chez le surintendant Fouquet porte bien, dans le recueil de la Muse historique, la date du 17 juin ; mais c’est le 16 juillet qu’il faut lire, et la signature ordinaire le dit fort nettement :

Écrit le seize de juillet
Sur un fauteuil assez mollet.

En effet, le lundi précédent, 11 juillet, le surintendant Fouquet avait reçu, dans sa maison de Vaux, la reine d’Angleterre, le frère du roi de France et sa jeune femme Henriette. Là, « sieur Molier » avait joué, devant la compagnie, l’École des Maris, « qui charmait Paris depuis le 24 juin, et ce sujet avait paru si riant et si beau, » qu’il fallut l’aller représenter à Fontainebleau devant les reines et le roi. L’École des Maris fut d’ailleurs le premier ouvrage que Molière, comme il le dit dans son épître au duc d’Orléans, « eût mis de lui-même au jour. » On a vu que les Précieuses ridicules avaient été imprimées malgré lui, Sganarelle sans lui : cette fois il obtint un privilège daté de Fontainebleau, le 9 juillet 1661, et l’École des Maris parut imprimée le 20 août avec le nom de l’auteur, que Loret ne savait pas encore exactement la veille. Il était inscrit au frontispice J.-B. P. Molière, et dans le privilège Jean-Baptiste Pocquelin de Molière.

S’il nous était enjoint de désigner précisément le jour, le lieu et l’heure où Molière se révéla en quelque sorte à Louis XIV et reçut de lui sa mission, nous croirions ne pas nous tromper en disant que cela se fit à Vaux, le mercredi 17 août 1661, dans l’après-midi, lorsque l’imprudent Fouquet, qui venait de se désarmer tout-à-fait en cédant sa place de procureur-général, voulut étaler devant le roi les splendeurs accusatrices de sa magnifique demeure. Tous les divertissemens y étaient réunis, et celui de la comédie avait été confié à Molière. Fouquet avait commandé en surintendant, et quinze jours avaient suffi pour qu’une pièce en trois actes fût « conçue, faite, apprise et représentée. » L’auteur, d’ailleurs, savait bien pour qui on lui ordonnait de travailler. Le roi, son frère, la reine-mère, la princesse anglaise, femme du duc d’Orléans, ce qu’il y avait de plus illustre, de plus élégant, de plus choisi dans l’élite de la cour, « bref, comme dit Loret, qu’on y avait introduit, la fleur de toute la France, » c’étaient là les spectateurs, les juges qu’il allait avoir, et, chose singulière, avec ceux-là il se trouva tout aussitôt à l’aise. Quand, après le repas, les conviés se sont rendus sous une feuillée où l’on avait construit un superbe théâtre, la toile s’étant levée, Molière parait sur la scène, devant l’auguste assemblée, « en habit de ville, et, s’adressant au roi avec le visage d’un homme surpris, fait des excuses en désordre sur ce qu’il se trouvait là seul, et manquait de temps et d’acteurs pour donner à sa majesté le divertissement qu’elle semblait attendre. » Cela ne vous semble-t-il pas déjà fort singulier que ce comédien s’avise de se montrer en sa personne avant son rôle, de parler pour son compte là où il n’est pas même chez lui, et de faire au roi les honneurs du théâtre de monseigneur Fouquet, quand il y a un prologue tout rimé de la façon de M. Pélisson, le poète de la maison, quand une, belle naïade va sortir d’une coquille pour le débiter, quand des arbres et des termes vont s’animer pour fournir des acteurs à la pièce et au ballet ? Au milieu de toute cette mythologie gracieuse, ne trouvez-vous pas que le chef