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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/203

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le compte du procès-verbal ; pas une n’a daigné nous dire quelle impression avait causée ce divertissement imprévu parmi ceux qui en furent les témoins. Pour trouver quelque chose du temps sur ce sujet, il faut encore recourir au pauvre Loret, à qui l’on avait fermé la porte de Versailles, qui n’avait pu rien voir et rien entendre. Loret ne nous dira pas, il est vrai, ce qui s’est passé ce jour-là ; mais par lui, et par lui seul, nous saurons un peu de ce qui s’en est suivi. Voici ce qu’on lit dans sa lettre du 24 mai :

(De la cour) un quidam m’écrit,
Et ce quidam a bon esprit,
Que le comédien Molière,
Dont la muse n’est point ânière,
Avait fait quelque plainte au roi,
Sans m’expliquer trop bien pourquoi ;
Sinon que, sur son Hypocrite (comédie morale),
Pièce, dit-on, de grand mérite
Et très fort au gré de la cour,
Maint censeur daube nuit et jour.
Afin de repousser l’outrage,
Il a fait coup sur coup voyage
Et le bon droit représenté
De son travail persécuté.
Mais, de cette plainte susdite
N’ayant pas su la réussite,
Je veux encore être, en ce cas,
Disciple de Pythagoras.


De ce témoignage, demeuré unique jusqu’à nos jours, ce que nous pouvons conjecturer, c’est que les trois premiers actes du Tartufe furent très bien reçus à Versailles, que les spectateurs s’en divertirent beaucoup sans songer à mal, que le blâme vint du dehors, de Paris, qu’en peu de temps il grandit au point d’intimider Molière et d’embarrasser le roi. Le roi, qui se sentait complice, hésita, faiblit, et le procès-verbal dont nous avons parlé, imprimé bientôt après chez le libraire de la cour, annonça que, tout en reconnaissant « les bonnes intentions de l’auteur, » le roi avait « défendu pour le public » la comédie de Tartuffe.

Après le soir (12 mai) où furent représentés les trois premiers actes du Tartufe, il y eut encore une journée de réjouissances que Molière termina par le Mariage forcé ; ce qui a fait dire à Grimarest et à ses copistes qu’il avait composé cette pièce pour la fête de Versailles, quoique la cour l’eût déjà vue deux fois au mois de janvier et le public douze fois depuis le 15 février. Ainsi, sur sept jours, il y en avait eu quatre remplis de sa personne et de ses œuvres, la Princesse d’Élide, les Fâcheux, Tartufe, le Mariage forcé, et ce n’est pas exagérer, ce nous semble, que de le mettre de moitié avec le roi dans les succès de cette grande semaine. Mais Molière avait maintenant une femme, et, de ce moment, sa biographie ne peut plus marcher seule ; les anecdotes qui concernent Armande Béjart deviennent une charge de la communauté. Or, on raconte ici que le rôle de la princesse d’Élide, joué par la femme de l’auteur, devint funeste au mari ; que les charmes qu’elle y montra lui attirèrent force galans,