après le carnaval de cette année, après une dernière fête de Versailles, « qui avait duré les trois jours gras et coûté des millions à tout le monde, » trois armées s’étaient mises en mouvement, dont l’une avait pour chef le maréchal de Turenne. Bientôt le roi lui-même, et à sa suite toute la cour, avait pris le chemin de la Flandre. « Paris est un désert, » écrivait le 20 mai Mme de Sévigné. Dès le 16 en effet, le roi avait quitté Saint-Germain avec sa femme et sa maîtresse ; le 3 juin, il entrait à Charleroy ; le 25, il avait pris Tournay ; le 2 juillet, il était devant Douai, qui se rendit le 6 ; le 31, il prenait possession d’Oudenarde, et le 5 août, il manquait Dendermonde. Ce jour-là même, à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, Molière donnait au public la comédie que depuis trois ans il lui était défendu de jouer, faiblement déguisée par le titre de l’Imposteur.
De ce véritable coup d’état nous n’avons qu’un témoin, et ce témoin n’est pas plus que Robinet. Ce pauvre écrivain adressait à Madame ses lettres imprimées ; il venait de finir sa missive hebdomadaire, et l’avait datée du 4 août. Le vendredi 5, pendant qu’on l’imprimait, il alla au Palais-Royal, et, en sortant du spectacle, il écrivit à la hâte une vingtaine de vers détestables, que personne n’a lus parce qu’ils sont en forme de préface, pour annoncer le nouveau triomphe de Molière, triomphe qui, selon lui, devait durer « long-temps. » Le samedi 6, un ordre du premier président défendit de jouer la pièce le lendemain, et le prudent Robinet n’en parla plus.
C’est là tout ce que nous savons des contemporains sur ce sujet, et nous tenons le reste de Molière lui-même. Le roi étant à l’armée, le chancelier avec le conseil à Compiègne, la police de Paris appartenait sans conteste au parlement. Le chef de cette compagnie, qui savait comme tout le monde la défense faite à Molière de jouer publiquement le Tartufe, lui demanda compte de cette infraction au commandement qu’il avait reçu. Sur quoi, et c’est Molière qui le dit, « tout ce qu’il put faire pour se sauver lui-même de l’éclat de cette tempête, ce fut de dire que le roi avait eu la bonté de lui en permettre la représentation, et qu’il n’avait pas cru qu’il fût besoin de demander cette permission à d’autres, puisqu’il n’y avait que le roi qui l’eût défendue. » C’était le cas d’en référer au roi, qui pouvait en quelques jours confirmer ou démentir cette allégation, et, en attendant sa réponse, de laisser, comme on dit au palais, « les choses en l’état. » C’est ce qui fut fait, et rien de plus. Le dernier acte notoire étant une défense de jouer la pièce, la représentation en demeura suspendue. Molière n’eut pas, heureusement pour lui, l’occasion de prononcer le mot, déjà vieux de son temps, dont on lui a fait honneur, et qui ne serait certainement pas resté impuni. Il n’y eut pas de seconde représentation affichée, pas de public appelé au théâtre et renvoyé, pas de tumulte, pas de discours. Molière écrivit un placet que deux de ses compagnons allèrent porter au roi devant Lille. Il y rappelait avec chaleur et dignité la permission qu’il disait avoir reçue du roi ; il le sommait respectueusement de faire observer sa parole par ceux qui tenaient de lui leur autorité ; il semblait même vouloir l’inquiéter pour ses divertissemens à venir — « Il est très assuré, disait-il, qu’il ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les tartufes ont l’avantage. » Pendant que ce message faisait sa route, une autre autorité venait de se prononcer contre l’ouvrage. L’ancien précepteur du roi, l’archevêque de Paris, publiait (11 août) un mandement qui défendait « à toutes personnes de voir représenter, lire ou entendre réciter la comédie nouvellement