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les routes vulgaires, poursuit sans cesse la vérité sous le mensonge des apparences, tente tous les hasards d’une création neuve, et sait prêter à une page sur l’art, sur la politique, sur les mœurs, cet intérêt dramatique qui naît d’un mélange naturel d’émotion et de raillerie. Originalité singulière et imprévue, la seule véritable peut-être qui se soit fait jour à travers ce nuage d’imitations amoncelé depuis un siècle et demi sur la Péninsule !

Toutes les littératures ont ainsi leurs écrivains dont les œuvres sont marquées à divers degrés du sceau de cette fantaisie indépendante. Le Midi, on le voit, a ses humoristes comme le Nord, et il n’y aurait pas de plus séduisante étude que de rechercher, de montrer ce génie du caprice humain dans la variété infinie de ses aspects, de ses nuances fugitives, de ses formes qui changent selon le temps et le lieu, de suivre ses traces, qu’un regard délicat peut seul distinguer, dans chaque époque et dans chaque pays, en Allemagne, en Angleterre ou en Italie, en France même, où la rectitude de l’esprit national n’empêche pas parfois les échappées inattendues et fécondes, et en Espagne, où le contemporain Larra n’a fait que renouer une tradition interrompue, recueillir un héritage resté vacant depuis Cervantès, Quevedo et ces auteurs moins connus qui ont animé d’une verve ingénieuse et libre la série entière des romans picaresques. La fantaisie humoristique, en effet, se retrouve aussi dans le passé, au-delà des Pyrénées, et apparaît sous un jour qui lui est propre. Elle n’a point cette curiosité analytique développée ailleurs par l’influence protestante ; elle ne se perd pas dans la métaphysique de l’esprit et du cœur où l’inspiration audacieuse de Jean-Paul aime à s’égarer ; elle ne va pas se plonger dans les rêveries mystérieuses et surnaturelles d’Hoffmann pas plus qu’elle ne se cache sous la mythologie féerique et enfantine de Gozzi. Sa qualité essentielle, c’est un chaud et puissant instinct de la vie pratique, de toutes ses conditions, de tous ses contrastes. Mélange d’imagination et de raison positive, de passion et de bon sens naïf, elle excelle à peindre la réalité, à la faire étinceler, suivant une expression de De Maistre. Aussi ses fictions les plus hardies, celles-là même que colore une teinte de merveilleux, ont-elles un cachet inimitable d’observation tout ensemble lumineuse et exacte. Ses inventions les plus étranges ont quelque chose de vivant et de fortement accusé qui rappelle l’art énergique de quelques maîtres de la peinture espagnole. Ce qu’il y a de capricieuse humeur, c’est dans le mouvement rapide des scènes qu’il faut le chercher, dans la succession variée et dramatique des tableaux, dans la manière de combiner les élémens réels, de personnifier, en les faisant agir, les passions, les vices, les ridicules, qui passent sous vos yeux dans l’éclat de leur misère et de leur orgueil.

Supposez ces qualités poussées au degré le plus éminent ; vous aurez