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même après sa mort, au dire du satirique espagnol, son vêtement blanc, en signe de son innocence de tout ce qu’on lui impute. Merveilleux type qu’on aurait bien tort de négliger dans une nomenclature comique des êtres humains ! Il faudrait suivre l’auteur pas à pas dans chacun des chapitres de cette œuvre d’inimitable raillerie, dans la Maison des Fous d’amour, dans les Etables de Pluton, pour avoir une idée de tout ce qu’il a dépensé d’observation, de finesse, d’imagination, d’amertume et de verve bouffonne.

Il a manqué, il est vrai, quelque chose à Quevedo pour être un humoriste complet, réunissant toutes les qualités que ce mot embrasse : c’est cette tendresse sympathique, cette chaleur d’émotion que l’influence moderne a développée de plus en plus, que Larra, de nos jours, en Espagne, laisse bien mieux apercevoir en lui. Quevedo semble trop se complaire à mettre en saillie la face grotesque de l’humanité, et n’en saisit pas assez les côtés plus doux, plus généreux : mais à la place de cette sensibilité de cœur, il a parfois l’éloquence sérieuse de l’esprit, à laquelle il sait donner un tour animé et pittoresque. Quelques-unes de ses peintures ont une réelle grandeur. Telle est celle de la mort, qu’il représente « chargée de couronnes, de sceptres, de mitres, de velours, de broderies, de toile et de bure, vêtue de toutes couleurs, ayant un œil ouvert et l’autre fermé, paraissant jeune d’un côté et vieille de l’autre, poursuivant toujours sa marche irrégulière et se trouvant déjà là tout près lorsqu’on la croit encore loin de soi. » Peut-être, au surplus, est-ce au fond trop de sévérité que de refuser à l’auteur des Visions le don de l’émotion. Ce morceau sur le désir, que nous indiquions, ne décèle-t-il pas un germe que l’atmosphère de l’époque a pu seule empêcher de s’épanouir entièrement ? Quelque différence qu’il y ait entre Quevedo et les humoristes plus récens chez lesquels l’ironie se voile d’une mélancolie plus douce, on est étonné de trouver certains points de ressemblance, certains traits irrécusables de parenté, certaines pensées dans lesquelles ils se rejoignent pour ainsi dire. Dans le Romance où il peint son mauvais sort, où il dit : « Il n’est point de pauvre qui ne me demande l’aumône, point de riche qui ne me blesse,… point d’ami qui ne me trompe, point d’ennemi que je ne possède, » l’écrivain espagnol ne fait qu’écrire presque littéralement d’avance une des pages les plus charmantes du Pot d’or d’Hoffmann, où l’étudiant Anselmus raconte aussi tous les contre-temps de sa vie. C’est l’éternelle histoire du penseur insouciant que la fortune s’amuse à tourmenter. Voyez cependant où conduisent la liberté de l’esprit, l’audace incorrigible de la raillerie ! Après avoir joué un rôle éminent, après avoir été le secrétaire du duc d’Ossuna dans sa vice-royauté de Naples et s’être distingué dans plus d’une négociation politique, Quevedo tombe dans la disgrace ; il est promené de cachots en cachots, et on le voit