son empire, l’ombre d’un vassal à qui parler. Aussi n’est-ce point une médiocre joie lorsqu’on a pu recruter un brave Castillan allant à ses affaires, fort peu soucieux de qui lui commande et très naïvement étonné de son importance, qu’il ne soupçonnait pas. Aussitôt les cloches éclatent en volées, et la junte suprême, trouvant matière à délibération dans cet événement providentiel, décrète l’enthousiasme universel et spontané. « Chacun, dit-elle, devra, sous peine de mort, se remplir d’une sincère et volontaire allégresse, depuis six heures du matin jusqu’à dix heures du soir. » Suit la liste des bienfaits accordés à cette occasion par sa majesté l’empereur Charles V à ses peuples, tels que défense de prononcer le mot séditieux de lumière ou d’amélioration, fermeture des écoles avec prescription aux bons Espagnols d’oublier le peu qu’ils savent sous trois jours, amnistie générale en réservant le droit de châtier « chacun en particulier, comme il convient. » La junte suprême de Castel-o-Branco, en un mot, est en train de sauver l’Espagne, lorsque quelques robustes contrebandiers viennent souffler sur son rêve glorieux, qu’elle va bientôt recommencer dans les gorges plus sûres de la Biscaye. Là le sarcasme de Larra retrouve encore le même ennemi sous des faces différentes. Le pillage, la barbarie famélique, l’ignorance monacale, sont représentés tenant les clés de l’Espagne dans les Voyageurs à Vittoria, ou personne ne passe sans parler au portier. Ce sont d’honnêtes et corpulens religieux qui font sentinelle et, pour dire le mot, détroussent au passage deux voyageurs étonnés, « l’un Français faisant des châteaux en Espagne, l’autre Espagnol les faisant en l’air. » A celui-ci on prend son argent, à celui-là ses livres, objet de contrebande qui n’est bon, hélas ! qu’à livrer aux flammes, ou bien encore sa montre qui est bonne à garder et dont, suivant le malin satirique, un digne moine pousse l’aiguille afin que l’heure du dîner arrive plus vite. Quand ils sont ainsi tous deux purifiés, le père Vaca, dans un élan de clémence et de respect pour la liberté individuelle, leur délivre des passeports, « datés de l’an premier de la chrétienté, pour la ville révolutionnaire de Madrid soulevée contre l’Alava. » L’auteur de la Junte de Castel-o-Branco veut-il saisir plus au vif la nature du factieux et en retracer la physiologie distincte, il le transforme en une plante nouvelle « qui croît sans culture, pousse surtout dans les bruyères désertes, s’acclimate dans la plaine et dans la montagne, se transplante avec facilité, est d’autant plus vigoureuse qu’elle est loin des populations et redoute l’atmosphère de l’ordre, de la régularité, surtout l’odeur de la poudre, qui lui est mortelle… Le factieux, ajoute-t-il, participe des propriétés de beaucoup de plantes ; il fuit, par exemple, comme la sensitive lorsqu’on la touche ; il se referme et se cache comme la capucine à la lumière du soleil et ne s’étale que la nuit- il ronge et détruit, comme le lierre ingrat
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