de la fournaise où il vient d’être battu. Son scepticisme est le résultat du plus violent combat intérieur. C’est le triste prix de l’effort orageux d’une ame qui s’essaie à tout, qui cherche souvent à se faire illusion à elle-même, et fait illusion aux autres par la force et la justesse spontanée du bon sens ou par les mouvemens d’une sensibilité passionnée et touchante. Ici, il refusera au cœur la puissance d’aimer et de se dévouer, il profanera de sa raillerie les sentimens les plus inviolables, et à côté il laissera tomber des paroles d’une tristesse magnifique, empreintes d’une émotion souveraine, comme dans ces pages sur le drame des Amans de Teruel, sur l’histoire de ce couple fidèle et malheureux de la légende espagnole qui rappelle Roméo et Juliette. « Si l’auteur, dit-il, entend murmurer à ses oreilles un reproche vulgaire que j’ai entendu moi-même ; s’il entend dire que le dénoûment de son œuvre est invraisemblable, que l’amour ne tue personne, il peut répondre que c’est un fait consigné dans l’histoire, que les cadavres des deux amans sont conservés encore à Teruel, et qu’une mort pareille n’est point impossible pour les cœurs sensibles ; que les chagrins et les passions ont rempli plus de cimetières que les médecins et les imprudens ; que l’amour tue, — bien qu’il ne tue pas tout le monde, — comme tuent l’ambition et l’envie ; que plus d’une fatale nouvelle reçue à l’improviste a tué des personnes robustes instantanément et comme un éclat de foudre, et ce sera mieux encore à mon avis de ne pas répondre, car celui qui n’aura pas dans son cœur la réponse ne comprendra jamais. Les théories, les doctrines, les systèmes s’expliquent : les sentimens se sentent. » Voilà le combat dont l’humoriste anglais, certes, n’offre point de trace ! Voilà ce qui fait comprendre comment Larra a gardé jusqu’au bout le feu de son génie, tandis que Swift, retranché dans sa raillerie insensible et froide, après avoir abusé de son esprit, est mort dans l’idiotisme, voyant l’ombre gagner son intelligence où le cœur n’envoyait aucun rayon.
Cette lutte vient se résumer énergiquement dans un épisode de la vie de Larra qui semble avoir exercé sur lui l’influence la plus décisive, la plus désastreuse, et avoir été en quelque sorte le dernier enjeu de ses désirs inassouvis. L’inquiet humoriste avait conçu un amour profond, il le croyait du moins, et ce n’était, à vrai dire, qu’un de ces mouvemens à l’aide desquels il donnait le change à son scepticisme passionné. Tantôt il s’y abandonnait avec la fougue violente de sa nature, tantôt il cherchait à s’y soustraire, et demandait l’oubli aux voyages et à l’absence. Fidèle à cette inconstance dont il parlait, il eût voulu trouver le calme dans la fuite, et en même temps son orgueil frémissait à l’idée que son sacrifice fût accepté légèrement, que le dédain ne l’eût même prévenu. Larra se plaisait à défaire son bonheur et à défaire le bonheur des autres. Il est des hommes qui sont nés pour cela !