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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/317

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Don Henri faisait briller à leurs yeux l’or du roi d’Aragon, et les assurait qu’à l’avenir leur solde serait exactement payée. Presque tous consentirent à s’enrôler dans sa compagnie. Après l’infant, le comte de Trastamare tenait le premier rang parmi les émigrés de Castille, et il devait hériter naturellement d’une armée dont il venait de faire égorger le chef. Don Tello et don Sanche, se voyant abandonnés, se soumirent comme les autres, et don Henri incorpora sans opposition les bannis d’Almanzora dans ses propres troupes[1]. Quelques seigneurs aragonais, moins confians que les émigrés dans les promesses d’amnistie de leur maître, quittèrent sa cour avec précipitation. Le vicomte de Cardona s’enfuit de Castellon avec tous ses vassaux, et ne se crut en sûreté que lorsqu’il se trouva dans son manoir féodal[2].


III.

La mort de don Fernand semblait devoir rendre plus facile la ratification de la paix. Il avait été convenu entre les plénipotentiaires castillans et aragonais. et le roi de Navarre, qui avait accepté le rôle d’arbitre, que l’exécution de la principale clause patente du traité, c’est-à-dire la remise des places cédées réciproquement, aurait lieu le 20 août. Le 4 du même mois, on se réunit à Tudela en Navarre pour régler les dernières formalités. Là les Castillans, élevant des difficultés nouvelles, prétendirent ajourner la remise des places qui devaient être rendues au roi d’Aragon. On commença à craindre qu’ils n’eussent des instructions secrètes pour rompre le traité. L’armée castillanne, loin de se disperser, recevait chaque jour des renforts ; sur toute la frontière de Castille, on ne voyait que préparatifs de guerre ; enfin à Séville, où s’était rendu don Pèdre pendant les conférences de Tudela, on équipait avec activité une flotte formidable, à laquelle devaient se rallier dix galères envoyées par le roi de Portugal. Tout annonçait que don Pèdre réunissait ses forces pour une nouvelle campagne. Dans la triste situation de ses affaires, le roi d’Aragon ne pouvait se flatter qu’elle lui serait plus heureuse que les précédentes, à moins qu’il ne parvînt à diviser ses ennemis.

On sait que le roi de Navarre n’avait pris part à la guerre que contraint par une espèce de surprise. Il avait autant que l’Aragonais à redouter l’ambition de don Pèdre, et son intérêt manifeste était de s’opposer à l’agrandissement d’un si dangereux voisin. Mélange de timidité, d’avarice et de perfidie, le caractère du roi de Navarre se résume dans le surnom de Charles-le-Mauvais que lui donnèrent ses contemporains

  1. Ayala, p. 374 et suiv. — Zurita, t. II, p. 322.- Carbonell, p. 190.
  2. Zurita, p. 322. — Carbonell, p. 190.