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supérieures de cantatrice et certaines nuances de style que les péripéties de la scène ont fait éclater pour la première fois. Ainsi elle est admirable dans le duo du premier acte : Serbami ognor, et dans l’andante de l’air qu’elle chante au commencement du second acte, après avoir appris le nom de son père : In si barbara sciagura. Sa voix incomparable et son style pathétique et tendre arrachent des larmes aux cœurs les plus aguerris, et avec quelle élégance, avec quelle émotion pénétrante elle exhale cette phrase adorable : Or cite il ciel ti rende il figlio, du duo du second acte !

Sans nul doute, Mlle Alboni n’est point une tragédienne comme Mme Pasta, ni même comme Mme Grisi. On pourrait désirer dans son talent si exquis un peu plus de force, d’accent et de profondeur. Elle n’a pas fait ressortir avec assez d’énergie le récitatif du premier acte : Eccomi affine in Babilonia, que Mme Pisaroni disait avec tant de majesté et d’ampleur, et nous l’avons trouvée également un peu molle dans le duo avec Assur : È dunque vero audace. La syllabe, un peu trop caressée et amortie par la cantatrice, n’est pas articulée avec assez de netteté. Aussi le rôle de la Cenerentola, que Mlle Alboni vient d’aborder après celui d’Arsace, lui est-il infiniment plus favorable, en ce qu’il exige moins de passion et de contrastes dramatiques que de grace et de flexibilité vocale. Depuis Mlle Mombelli, qui en 1823 révéla pour la première fois au public parisien les beautés de cette délicieuse partition de Rossini, et qui se fit surtout remarquer par le brio et la vigueur qu’elle déployait dans le finale du premier acte et dans l’admirable sextuor du second, aucune cantatrice italienne n’a chanté la partie de la Cenerentola avec autant de charme et de suavité que Mlle Alboni. Je sais bien qu’à la rigueur on pourrait exiger plus de verve, de mordant et de vivacité comiques ; mais il semble que l’expression de la gaieté qui jaillit et rayonne soit aussi étrangère à la nature de son talent que le cri de la douleur. Mlle Alboni se plait dans les régions tempérées, dans le style de demi-caractère, qui lui permet de dérouler, sans effort, toutes les délicatesses de son organe incomparable. Si l’on veut avoir une idée d’une vocalisation parfaite jointe à l’une des plus belles voix de contralto qui aient existé, il faut entendre chanter par Mlle Alboni l’air final de la Cerenentola :

Non più mesta
A canto al fuoco…

Le rôle de Malcolm de la Dame du Lac, qu’on vient de reprendre au Théâtre-Italien, n’ajoutera rien à la réputation de la cantatrice. Dans cette création nouvelle, Mlle Alboni a déployé, comme dans la Cenerentola et la Semiramide, plus de grace et de douceur que d’énergie dramatique. Quoi qu’il en soit des imperfections que nous avons dû signaler dans son talent, Mlle Alboni est une cantatrice de premier ordre et de la grande école du XIXe siècle, qui a produit les Caforini, les Malanotte, les Marcolini, les Pisaroni. Douée d’une sûreté de goût qu’aurait pu envier la Malibran, supérieure peut-être à la Pasta par le charme du style, possédant une voix plus étendue et moins inégale que celle de la Pisaroni, Marietta Alboni est une virtuose éminente, qui laissera un nom de plus dans l’histoire de l’art. Cette musique mélodieuse, calme et sereine expression