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d’établir ses sœurs, et encore moins de faire la fortune de leurs maris. Il ne leur avait jamais donné d’autre marque de souvenir et d’intérêt que de leur envoyer ses vœux pour le jour de l’an, et de les faire complimenter à chaque événement important arrivé dans la famille. Jamais il n’était allé personnellement leur rendre visite, et il ne connaissait pas leurs enfans.

En quittant Versailles, il se rendit à Paris, où il n’était pas venu depuis nombre d’années, et le même soir il se fit conduire chez ses sœurs en grand carrosse, son coureur en avant, un écuyer à la portière et trois ou quatre laquais suspendus derrière la lourde machine, aux panneaux de laquelle resplendissaient les armoiries de la maison de Farnoux.


Les sœurs du marquis habitaient un petit hôtel sur le quai de la Tournelle. L’aînée, qui se nommait Mme de Saint-Elphège, était veuve depuis long-temps et avait entièrement consacré sa vie à l’éducation de deux filles charmantes, dont l’une était déjà mariée. L’autre sœur du marquis, ne pouvant suivre son mari, un brave officier de marine qui naviguait dans les Indes occidentales, demeurait chez Mme de Saint-Elphège avec sa fille unique, récemment mariée aussi. Toutes ces personnes formaient une famille nombreuse et dont la société était fort recherchée. Le petit hôtel du quai de la Tournelle était assidûment fréquenté par la bonne compagnie. Une fois la semaine il y avait cercle, et les beaux esprits y foisonnaient aussi bien que les gens de qualité.

Le vieux courtisan descendit de son carrosse, appuyé au bras de son écuyer, et gravit le perron en toussant et en traînant les jambes. Quand le petit laquais qui se tenait dans l’antichambre eut entendu son nom, il courut ouvrir les deux battans et annonça tout effaré M. le marquis de Farnoux. eut un moment de stupéfaction dans le salon, où la famille était réunie ; tout le monde se leva en silence, et Mme de Saint Elphège s’avança en s’écriant :

— Ah ! monsieur le marquis, qu’on était loin de s’attendre ici à l’honneur de votre visite Est-il passible que j’aie enfin le bonheur de vous recevoir chez moi ! Quel heureux événement !

— J’en suis moi-même comblé de joie, répondit le marquis avec une profonde révérence et en se laissant conduire à la place d’honneur près cheminée Ensuite il jeta un coup d’œil autour du salon. Il n’y avait en ce moment aucun étranger, et les trois nièces du marquis étaient seules debout devant lui. C’étaient des beautés de genre différent, que, dans la société tant soit peu précieuse de l’hôtel Saint-Elphège on avait surnommées les trois Grâces. La plus âgée n’avait pas vingt ans ; la plus jeune, qui n’était point mariée encore, venait d’accomplir sa dix-septième année. Elles étaient habillées presque pareillement,