rudement aux sépales dont les pointes aiguës protégeaient une triste fleur couleur de plomb. — Monsieur l’abbé, lui disait-il, croyez-moi, laissez là toutes ces vilaines plantes hérissées. de dards, et chassons ensemble l’argus-corydon et le grand-flambé, le bon Dieu n’a fait croître ni roses, ni violettes sur ces rochers, mais il y a mis de beaux papillons ; ce sont des fleurs vivantes qu’on cueille dans l’air avec ce petit réseau de soie. Je les aime bien mieux que ces affreux chardons bleus dont vous emplissez votre herbier. Bien, bien, nous verrons, monsieur, répondait le bon abbé en se courbant derechef sur le sol, il me manque encore la chardonnerette à fleurs jaunes.
Clémentine avait lentement poursuivi sa promenade et était allée attendre le bon précepteur et son élève à une place où elle aimait à se reposer. En cet endroit du chemin s’élevait un rocher à pic au pied duquel il y avait une excavation naturelle dont les parois inégales et peu profondes formaient, à hauteur d’homme, un cintre surbaissé. Cette voûte, d’où suintaient constamment de larges gouttes d’eau, était tapissée de plantes qui se plaisent dans les lieux sombres ; à l’entrée croissaient des arbustes sauvages, de grandes ronces dont les enfans du bourg n’avaient jamais laissé mûrir les fruits violets. Dans le fond de cette espèce d’antre où il eût été malaisé de pénétrer, on apercevait à travers le feuillage noir des ronces et les longues tiges cendrées des hippophaës une ouverture produite par l’écartement de deux ouches calcaires que quelque convulsion du monde antédiluvien avait placées debout comme le chambranle d’une porte. Un souffle d’air passait continuellement à travers ce ténébreux soupirail et répandait sous la voûte une vive fraîcheur. L’eau qui tombait par gouttes du rocher filtrait lentement au dehors et formait une petite mare sur le bord de laquelle on avait planté quelques saules dont le tronc seul avait grandi, et qui végétaient presque sans feuillage, noirs et tordus comme des arbres morts. Lorsqu’une température brûlante ne desséchait pas ce rustique bassin, les femmes du village venaient y blanchir leur linge. Cet usage, que les seigneurs de Farnoux toléraient de temps immémorial, était passé en droit, et les gens du pays, comme pour consacrer cette prise de possession, avaient appelé ce creux de rocher la Grotte-aux-Lavandières.
Mlle de l’Hubac s’assit, pensive, sur le tronc renversé d’un de ces vieux saules dont les racines altérées plongeaient en vain dans la source tarie, et suivit d’un regard distrait les deux amateurs d’histoire naturelle qui vaguaient à quelques pas de là, l’un courbé vers la terre, explorant patiemment chaque tas de pierre où pouvait croître un brin d’herbe, l’autre le nez en l’air et promenant d’une main agile son filet dans le vide. La pauvre enfant songeait à la rencontre dont lui avait parlé le petit baron. L’espèce de mystère que M. de Champguérin avait