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et ce don Henri et un autre mien frère, don Fadrique, tous les deux nos aînés, qui devaient nous défendre et nous conseiller, loin de là, en voulant à notre héritage, se sont ligués contre nous à Medina Sidonia. Dieu ayant défait leur dessein, ils entendirent par d’autres voies à nous brouiller avec nos riches-hommes, nos villes et nos communes, et, parce que nous ne pliâmes point à leurs volontés, ils nous retinrent, comme savez, dans la ville de Toro. La mort, que par notre commandement reçut le maître don Fadrique, fut bien méritée pour ce fait et pour d’autres. Dites encore qu’ils m’appellent[1] cruel et tyran parce que j’ai châtié ceux qui refusaient de m’obéir et qui faisaient grands outrages aux bonnes gens de mon royaume. Vous direz de vive voix, comme vous le tenez de nous, quels furent les crimes de chacun de ceux que nous avons châtiés. En un mot, vous ajouterez de notre part tout ce qui vous paraîtra propre à mener à bien les propositions dont vous êtes porteur, comme aussi les mariages que vous savez. »

On observera que dans cette apologie il n’est question ni de légitimité ni de droit divin : ces idées en effet étaient à peine connues dans l’Europe du moyen-âger et assurément elles étaient complétement étrangères à l’Espagne. Loin d’y faire allusion, don Pèdre semble au contraire reconnaître implicitement le droit qu’a toute nation de déposer le souverain qui abuse de son autorité. C’est du reproche de tyrannie qu’il s’attache seulement à se justifier. Il n’a fait, dit-il, que punirr des nobles turbulens. Ennemi constant de l’anarchie féodale, sa cause devait être celle de tous les rois.

Édouard III, aussi despote que le Castillan, lui accorda sa protection et promit de le rétablir sur le trône. Après quelques semaines de négociations, don Pèdre conclut à Libourne, le 23 septembre 1366, un double traité avec le prince de Galles, stipulant au nom de son père, et avec le roi de Navarre. Au premier, il s’engageait à céder une partie de la Biscaïe, particulièrement les ports de mer ; il se reconnaissait également son débiteur pour une somme de 550,000 florins d’or au coin de Florence. Cette somme et un autre prêt de 56,000 florins avancés par le prince et payés au roi de Navarre, à titre de subsides, devaient être remboursés dans un délai d’un an. Les jeunes infantes, filles de Marie de Padilla, ainsi que les femmes et les enfans des seigneurs castillans émigrés, demeureraient cependant en otage à Bordeaux jusqu’au paiement intégral de cette dette. Par son traité particulier avec le roi de Navarre, don Pèdre lui céda la province de Guipuzcoa et celle de Logrono, indépendamment du subside qui vient d’être mentionné. En

  1. Rades, Cron. de Alcdntara, p. 29, verso. Je traduis littéralement pour mieux rendre le brusque mélange de l’étiquette diplomatique et de la familiarité épistolaire. Le roi dit tantôt nous, tantôt moi.