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son royaume et presser, comme il le promettait, le recouvrement des contributions destinées à l’armée anglaise[1].

Quatre mois s’écoulèrent, et le premier paiement promis n’eut point lieu. Alors même que le roi eût voulu franchement s’acquitter de sa dette, l’épuisement de ses finances ne le lui eût pas permis. Les villes de Biscaïe refusèrent nettement de recevoir les commissaires anglais et se mirent en défense, ne cachant pas qu’elles y étaient autorisées par leur légitime seigneur, le roi de Castille. Cependant l’oisiveté, l’ivrognerie, la dyssenterie, décimaient rapidement l’armée d’occupation. Le soleil brûlant de l’Espagne vengeait les vaincus de Najera. Chaque jour les officiers de don Pèdre étaient habiles à inventer quelque nouveau prétexte pour différer l’exécution du traité de Burgos. Lorsque Chandos vint réclamer ses lettres patentes pour l’investiture de la seigneurie de Soria, on lui demanda des droits de chancellerie si élevés, qu’ils excédaient peut-être la valeur du domaine qu’on lui donnait. Le prince de Galles, étourdi par les plaintes de ses capitaines, excédé des lenteurs interminables sans cesse opposées à ses réclamations, malade, furieux de se voir jouer ouvertement, repassa en Guyenne vers la fin de l’automne, ramenant à peine le cinquième de sa brillante armée, et ne rapportant d’Espagne que la stérile gloire acquise dans la plaine de Najera[2].

Si don Pèdre n’exécutait pas les promesses faites au prince de Galles, établi avec une armée au centre de son royaume, on conçoit qu’il usât de moins de ménagemens encore à l’égard du roi de Navarre, allié moins loyal et voisin moins dangereux. Il n’eut garde de lui céder la province de Logrono, et je ne sais d’ailleurs si Charles eut l’impudence de la réclamer. Nous avons laissé ce prince astucieux prisonnier volontaire d’Olivier de Mauny dans le château de Borja, attendant, pour jeter le masque, que la victoire se fût déclarée pour l’un des deux prétendans à la couronne de Castille. La bataille de Najera ayant fait cesser toutes ses incertitudes, il ne songea plus qu’à sortir de prison sans qu’il lui en coûtât rien. On a vu qu’il avait acheté la connivence du capitaine breton par la promesse de la seigneurie de Guibray et d’une rente de 3,000 francs. Tromper un aventurier n’était pas chose facile ; mais, en fait de fourberie, le Navarrais n’avait pas son égal. D’abord, laissant un de ses fils, l’infant don Pèdre, en otage à Borja, il eut l’art de persuader à Mauny de l’accompagner jusqu’à Tudela, où, disait-il, sa rançon lui serait comptée. Mauny ne connut à quel homme il avait affaire que lorsqu’il était déjà au pouvoir de son prisonnier. Arrivé à Tudela,

  1. Ayala, p. 474, 483. — Froissart, liv. I, 2e partie, chap. 243 et 245.
  2. Post haec periit populus anglicanus in Hispania de fluxu ventris et aliis infirmitatibus, quod vix quintus homo redierit in Angliam. Knyghton, Hist. Angl. script., tome II, p. 2629.