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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/479

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publique. On raconte que, les vêtemens de doña Urraca s’étant dérangés sur le bûcher au moment où les bourreaux venaient d’y mettre le feu, une de ses femmes, nommée Léonor Davalos, se jeta au milieu des flammes et périt avec elle en la couvrant de son corps[1].

Ces affreuses exécutions, ces vengeances abominables, ne faisaient qu’augmenter le nombre des mécontens et susciter de nouvelles conspirations. On vit alors quelques seigneurs y prendre part, qui, jusqu’alors fidèles à don Pèdre dans la mauvaise fortune, s’éloignaient de lui maintenant, comme d’un insensé courant à sa perte. Parmi tous les serviteurs du roi, celui qui par les preuves répétées de son dévouement semblait le plus à l’abri du soupçon, c’était Martin Lopez de Cordoue, compagnon de son exil et son ambassadeur auprès du roi d’Angleterre. Depuis son retour en Castille, don Pèdre, ayant dépouillé de la maîtrise de Calatrava Diego de Padilla, dont j’ai raconté la trahison, avait conféré cette dignité à Martin Lopez, comme plus avantageuse que la maîtrise d’Alcantara dont il était précédemment pourvu. Tout récemment, il venait d’y joindre le gouvernement de Murcie et celui de Cordoue. C’est dans cette dernière ville, sa patrie, que Martin Lopez avait fixé sa résidence. Jadis il s’était fait remarquer par son inflexibilité dans l’accomplissement des ordres les plus rigoureux de son maître. Maintenant sa conduite était toute différente. Il ne s’appliquait plus qu’à gagner l’affection de ses compatriotes, déplorant avec eux la sévérité de son maître, et s’attribuant à lui seul le mérite des rares faveurs accordées par don Pèdre. Soit qu’il cédât à quelques suggestions étrangères, soit qu’il ne suivît que les conseils de sa propre ambition, il commença bientôt à laisser deviner un projet qui ne pouvait manquer de produire une certaine impression sur la noblesse castillanne, beaucoup plus jalouse de son autorité que de la grandeur du pays. Martin Lopez, blâmant ouvertement la politique du roi, disait qu’il était temps de mettre un terme à ses violences insupportables, qu’il fallait défendre le roi contre ses propres fureurs et lui donner une tutelle pour le gouvernement de la Castille. Ces fonctions, ajoutait-il, ne pouvaient être confiées en de meilleures mains qu’en celles du prince de Galles, ce parfait modèle de la chevalerie. Don Pèdre, cependant, serait obligé de résider à Tolède. On le marierait, et l’on délivrerait ainsi le royaume de cette pépinière de bâtards dont, à sa mort, les prétentions pouvaient causer les plus graves désordres. Tout le royaume serait divisé en quatre grands gouvernemens, administrés par des seigneurs du pays, car la tutelle du prince anglais ne devait être que purement nominale et honorifique. Pour lui-même, Martin Lopez se réservait l’Andalousie et Murcie dont il était déjà vice-roi. Fernand de Castro aurait eu pour sa part les

  1. Ayala, p. 500. — Zuniga, An. de Sev., t. II, p. 173.