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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/481

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se sacrifièrent courageusement dans la suite. A mon avis, leurs noms n’auraient été mis en avant par le maître de Calatrava, qu’en raison de l’influence extraordinaire qu’ils exerçaient dans certaines provinces, et, en se les associant, son but paraît avoir été seulement d’assurer à ses desseins l’assentiment général.

En attendant le moment d’éclater, Martin Lopez ne perdait pas une occasion de discréditer le roi et de se faire des partisans. Un jour, ayant réuni à dîner les chefs des plus illustres familles de Cordoue, il leur déclara que don Pèdre avait résolu de les faire périr, et l’on assure même qu’il leur communiqua un ordre du roi, vrai ou faux, à cet effet[1]. Il eut soin d’ajouter que, tant qu’il commanderait à Cordoue, ses concitoyens n’avaient pas à craindre qu’il consentît à devenir leur bourreau. Il était plus facile à Martin Lopez de ruiner l’autorité royale que de fonder la sienne. Il rendit son maître odieux sans se faire aimer lui-même de ses concitoyens. Cependant le roi, instruit de ses menées, résolut de prévenir l’explosion du complot. Il s’ouvrit à don Pedro Giron, qu’il venait de faire maître d’Alcantara, et lui promit la succession de Martin Lopez s’il parvenait à le mettre entre ses mains. Pedro Giron, l’ayant attiré dans le château de Martos, dont il était gouverneur, le fit charger de chaînes et se disposait à l’envoyer à Séville, c’est-à-dire à la mort, lorsque le roi de Grenade Mohamed, lié depuis longtemps d’une étroite amitié avec Martin Lopez, intervint en sa faveur. Don Pèdre, n’ayant plus d’autre allié que le roi maure, avait le plus grand intérêt à le ménager. A sa considération, il fit grace pour la première fois de sa vie, et non-seulement rendit la liberté au maître de Calatrava, mais encore, bientôt après, soit qu’il se laissât persuader de son innocence, soit qu’il se crût trop faible pour le punir, il parut oublier le passé et lui rendit complètement sa confiance[2].


III.

Le retour prévu du prétendant allait encore augmenter l’agitation et l’anarchie de la Castille. A son arrivée dans le Languedoc, don Henri n’avait trouvé d’abord qu’une hospitalité froide et timidement accordée. Le duc d’Anjou, gouverneur de la province, lui avait fait tenir à la vérité quelques secours d’argent ; mais cette espèce d’aumône s’était faite en secret, et c’était avec peine que le roi fugitif avait obtenu la permission de voir le prince et de conférer avec lui sur l’état des affaires en Castille. L’entrevue avait eu lieu avec une sorte de mystère, car la cour de France n’osait encore déclarer ouvertement ses sympathies, dans la crainte d’une rupture avec l’Angleterre. Cependant

  1. Ayala, p. 498.
  2. Ibid., p. 499.