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lui-même. En même temps il rassemblait des troupes, pressait les Maures de Grenade de lui envoyer des secours et n’oubliait rien pour ranimer le courage de ses partisans ; mais nulle part il ne trouvait d’empressement à le servir. Il accusait la lenteur des Maures, l’apathie de ses vassaux. Menaces, prières, il mettait tout en œuvre pour presser les armemens, et cependant, hors d’état d’entrer en campagne, il se voyait contraint d’abandonner à leur fortune le petit nombre de loyaux serviteurs qui essayaient encore de soutenir sa cause dans le nord du royaume. Son principal lieutenant dans la Castille vieille, Rodrigo Rodriguez, assiégé dans le château de Dueñas par don Henri lui-même, fut obligé de capituler après une assez longue résistance.

L’hiver seul retardait les progrès de l’usurpateur. De part et d’autre, les derniers mois de l’année 1367 et les premiers de l’année suivante se passèrent en préparatifs militaires, sans que les deux rivaux cherchassent à se combattre. Tandis que don Pèdre appelait aux armes tout ce qui lui restait de vassaux fidèles, don Henri, parcourant la Castille vieille et le royaume de Leon, se montrait à ses partisans, les exhortait à redoubler d’efforts, recrutait des soldats, achetait ou prenait des châteaux, et obtenait des communes des secours d’argent en leur accordant des immunités et des privilèges pour l’avenir. Presque partout il n’avait qu’à se louer du zèle de la noblesse et des communes ; mais c’était dans sa famille même qu’il devait trouver l’opposition la plus dangereuse. J’ai eu plusieurs fois à signaler la jalousie de don Tello, ses trahisons répétées, ses intrigues continuelles. Suspect à son frère depuis la bataille de Najera, il était cependant accouru auprès de lui aussitôt après son entrée en Espagne, et, lui imposant en quelque sorte son alliance, il l’accompagnait dans toutes ses expéditions. Peu de temps après la prise de Burgos, il vint jeter l’alarme dans le camp de don Henri, en annonçant que le prince de Galles arrivait à Bayonne à la tête d’une armée. A l’appui de cette nouvelle, il produisit une lettre qu’il avait fait fabriquer par un de ses scribes. Quel était son dessein ? Il est assez difficile de le deviner. Peut-être espérait-il, par ce mensonge, échapper à la surveillance secrète dont il était entouré par don Henri et se faire envoyer en Biscaïe ; là, sous prétexte de s’opposer à l’invasion des Anglais, il aurait travaillé à se faire une souveraineté indépendante. Telle avait toujours été l’ambition de don Tello, et, dans le désordre de ce temps, l’idée d’indépendance absolue était la préoccupation de tous les esprits. Les villes voulaient des franchises qui les constituassent en républiques ; les seigneurs voulaient devenir des rois.

Quoi qu’il en soit, la fourberie de don Tello fut découverte par l’homme qu’il avait choisi pour en être l’instrument. Son secrétaire le dénonça à Pero Lopez d’Ayala, qui se hâta d’en prévenir don Henri. Celui-ci, accoutumé à dissimuler les perfidies de son frère, ne lui adressa