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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/500

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que ces feux provenaient de la troupe du maître Gonzalo Mexia, qui fuyait devant lui depuis plusieurs jours[1]. Toutefois, par un excès de précaution, comme il lui semblait, il fit monter à cheval quelques génétaires pour reconnaître le nombre et la contenance de ces troupes ; puis il se rendormit tranquillement. Au lever du soleil, ces cavaliers reviennent bride abattue, annonçant que toute l’armée ennemie était à leurs trousses. En effet, déjà don Henri était en vue de Montiel. Ses troupes s’avançaient rapidement en deux batailles : l’avant-garde, aux ordres de Du Guesclin, composée des chevaliers des ordres militaires et des aventuriers ; la réserve, beaucoup plus nombreuse, sous le commandement du prétendant en personne.

Aussitôt don Pèdre fait lever sa bannière, autour de laquelle se rangent les arbalétriers de sa garde, les gendarmes de sa maison et les quinze cents chevaux grenadins qui formaient son escorte ordinaire ; c’étaient les seules troupes qu’il eut alors sous sa main. Il expédie des courriers dans toutes les directions pour que ses bandes dispersées se rallient sans délai autour du château, qu’il désigne comme rendez-vous général. Mais déjà l’action s’engageait, et le gros de l’ennemi chargeait avec fureur sa petite troupe encore en désordre et surprise sur un pied, suivant l’expression pittoresque de Froissart[2]. Cependant la bataille de Du Guesclin, par la faute de ses guides, avait perdu quelque temps à passer un ravin difficile[3] et s’était laissé devancer par le corps de réserve, qui, mieux dirigé, marcha droit à la bannière royale et fondit avec impétuosité sur le petit nombre d’hommes d’armes qui la défendait. Ce fut une surprise plutôt qu’un combat. Don Pèdre, pourtant, soutint assez vigoureusement le premier choc ; mais bientôt, accablée par le nombre, sa garde fut enfoncée, et l’arrivée de Du Guesclin acheva la déroute et rendit tout ralliement impossible. La panique devint générale. Le roi, entraîné par les fuyards, se jeta avec quelques-uns des seigneurs de sa suite dans le château de Montiel ; mais il avait été reconnu à ses armes. Le Bègue de Villaines, un des capitaines français, le suivit jusqu’à la barrière, devant laquelle il planta aussitôt son pennon pour rallier les hommes d’armes qui s’abandonnaient à la poursuite des fuyards[4]. Quant aux autres divisions de l’armée du roi, elles furent battues en détail à mesure qu’elles se présentaient, ou bien elles se dispersèrent en apprenant la défaite du corps principal. Martin Lopez, rassemblant environ huit cents chevaux, repassa précipitamment les montagnes et parvint à gagner Carmona sans être inquiété. Jamais victoire ne coûta moins de sang. Un seul seigneur de marque du côté

  1. Ayala, p. 548.
  2. Froissart, liv. I, 2e part., ch. 253.
  3. Ayala, p. 549.
  4. Froissart, chap. 254.