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d’une main ferme le gouvernail, imposa à ce parti le nouveau système, dans l’intention d’obliger le gouvernement français. Il y avait à Taïti un certain nombre de résidens anglais, et l’esprit de prosélytisme des sectes britanniques y comptait des représentans fort zélés, ce qui signifie fort intolérans, qu’une domination catholique devait froisser. Le ministère Peel cependant, à propos de cette invasion accomplie par nos marins, ne fit ni ne dit rien qui pût nous donner de l’humeur. On demanda seulement le respect des droits acquis aux sujets britanniques ; on refusa de servir d’écho à leurs récriminations amères. Si, dans une île où des Français auraient les intérêts que des sujets anglais avaient à Taïti, un commodore britannique fût venu, de son autorité privée, planter militairement son drapeau, ainsi que l’a fait dans le petit royaume de la reine Pomaré le commandant Dupetit-Thouars, il y aurait eu dans nos chambres une explosion. Le ministère eût été sommé de faire de l’évacuation un casus belli.

Les Marquises sont de 1842 (1er mai). La ratification par le gouvernement français du protectorat accepté ou pris par l’amiral Dupetit-Thouars en septembre 1842 est de 1843 (en avril). L’année suivante vit se produire un fait individuel, mais très considérable par la position élevée et par le mérite de la personne dont il émanait. S. A. R. M. le prince de Joinville publia sa célèbre Note. L’esprit de cet écrit, qui produisit une grande sensation, me paraît être tout entier dans le passage suivant, que je tiens à citer, d’ailleurs, par un motif qu’on appréciera un peu plus loin :


« Ma pensée bien arrêtée est qu’il nous est possible de soutenir la guerre contre quelque puissance que ce soit, fût-ce l’Angleterre, et que, rétablissant une sorte d’égalité par l’emploi judicieux de nos ressources, nous pouvons, sinon remporter d’éclatans succès, au moins marcher sûrement vers notre but, qui doit être de maintenir à la France le rang qui lui appartient.

« Nos succès ne seront point éclatans, parce que nous nous garderons bien de compromettre toutes nos ressources à la fois dans les rencontres décisives.

« Mais nous ferons la guerre sûrement, parce que nous nous attaquerons à deux choses également vulnérables : la confiance du peuple anglais dans sa position insulaire, et son commerce maritime.

« Qui peut douter qu’avec une marine à vapeur fortement organisée nous n’ayons les moyens d’infliger aux côtes ennemies des pertes et des souffrances inconnues à une nation qui n’a jamais ressenti tout ce que la guerre entraîne de misères ? Et à la suite de ces souffrances lui viendrait le mal, également nouveau pour elle, de la confiance perdue. Les richesses accumulées sur ses côtes et dans ses ports auraient cessé d’être en sûreté.

« Et cela pendant que, par des croisières bien entendues dont je développerai plus tard le plan, nous agirions efficacement contre son commerce répandu sur toute la surface des mers.

« La lutte ne serait donc plus si inégale !

« Je continue de raisonner dans l’hypothèse de la guerre. Notre marine à vapeur