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puff de la Corinne moderne, de la Philaminte civilisée, prétendant réformer la destinée des femmes parce qu’elle a gâté la sienne, prêchant l’émancipation de soi sexe parce qu’elle s’est elle-même trop émancipée, et pindarisant le vice parce qu’elle n’a pas eu le courage de pratiquer la vertu.

Il faut pourtant le reconnaître, en modifiant ainsi ces deux caractères, on risquait de trop approfondir, et peut-être d’attrister. La donnée choisie par l’auteur est d’une vérité moins austère et plus gaie. Corinne et Marignan, tour à tour persifleurs et persiflés, faisant échange d’éloges intéressés et de malices vindicatives, devenant l’un pour l’autre, au dénouement, une punition vivante et comme la morale de la fable, représentent parfaitement le puff littéraire pris à l’épiderme. Là où le roman et l’analyse psychologique demanderaient une étude sévère et complète, la comédie a probablement bien fait de se contenter de ce miroitement ingénieux des ridicules, des amours-propres et des intérêts. Ces deux rôles sont en outre semés de traits heureux, plaisans, qui dérident et tiennent en haleine le spectateur, non pas pour lui inspirer les vigoureuses haines dont parle Alceste, mais pour le faire rire aux dépens d’un monde qui aime à être trompé, comme la femme de Sganarelle aimait à être battue.

Dans le Puff, comme dans toutes les comédies de mœurs, les caractères ont plus de valeur que l’intrigue même, et c’est presque analyser la pièce qu’indiquer les personnages. Le rôle d’Antonia, la jeune fille aimante et naïve, a de la fraîcheur et de la grace. Dans celui de Maxence, le jeune dissipateur entraîné à l’agiotage par le désir de refaire sa fortune et de réparer ses folies, M. Scribe a trouvé des accens plus vifs, et sa verve, bien que toujours un peu tempérée, a. nettement personnifié le puff de la richesse factice passant par le puff de la spéculation et arrivant au puff du désespoir. Albert, l’officier de l’armée d’Afrique, bien que jeté dans le moule des amoureux de comédie, a la physionomie convenable, et nous ne comprenons pas les critiques qui lui ont reproché de devenir, au dénouement, complice de ces puffs contre lesquels il se débat pendant cinq actes ; c’est là au contraire le caractère distinctif de la pièce de M. Scribe, que le puff se soit si bien emparé de la société moderne, si étroitement incrusté dans tous ses rouages, que la machine ne peut plus fonctionner sans lui, et que la loyauté même a besoin de son aide pour réussir à faire une bonne action et un bon mariage. Albert ne passe pas à l’ennemi, il capitule, et cette capitulation avec les honneurs de la guerre est le dernier trait, l’achèvement suprême de cette idée comique qui consiste à railler le puff plutôt qu’à le haïr, à montrer qu’on n’est pas sa dupe plutôt qu’à s’irriter de ses roueries. Napoléon Bouvard est une plaisante figure qui résume bien la réclame faite homme, la phraséologie d’annonces, le puff du libraire-éditeur exploitant les vanités qu’il caresse, rançonnant les auteurs opulens en raison de la fortune qu’ils ont, du talent qu’ils n’ont pas, et du succès qu’ils veulent avoir. Mais la création qui fait le plus d’honneur à M. Scribe, celle qui élève le Puff aux proportions de la vraie comédie, c’est le caractère de César Desgaudets, de ce faux riche, de ce pseudo-millionnaire, qui fait de sa richesse supposée un puff, une position, un moyen d’influence et de crédit. Là tout est neuf, original, profond, réellement creusé dans le vif. César Desgaudets a eu un chétif patrimoine qu’il gouvernait avec économie, par prévoyance paternelle. Tout à coup le bruit se répand qu’il est appelé à recueillir un immense héritage ; il part pour l’Allemagne, où il voit cette succession se fondre entre ses mains. Que fera-t-il au retour ? Rentrera-t-il