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débat qui a occupé une séance entière de la chambre, et qui n’était que le prétexte d’une attaque plus triste encore contre le caractère de M. Guizot. Nous n’en parlerons que pour faire une seule remarque. Nous le demandons, y a-t-il un homme en France qui, dans la position où s’est trouvé ce jour-là M. Guizot en présence de la chambre, y aurait eu la même attitude, produit le même effet, rencontré la même réponse ? En est-il beaucoup qui auraient eu le droit et la puissance, en face d’accusations aussi violentes, de répondre par une justification de la moralité publique ? Non, et ce n’est pas, quoi qu’on dise, une absolution, c’est un témoignage de confiance et d’estime que la majorité de la chambre a donné à M. le ministre des affaires étrangères.

Ce dont nous faisons un reproche à l’opposition, ce n’est point d’appeler la censure du pays sur des faits condamnables : en cela, elle ne fait que son devoir, la publicité est la justice de notre temps ; mais la faute de l’opposition, c’est de vouloir généraliser des faits particuliers et de faire à tout propos le procès à la société tout entière. C’est en vérité quelque chose d’inoui que la légèreté intrépide avec laquelle des hommes qui ont la prétention de devenir ministres jettent la boue sur ce pouvoir auquel ils aspirent. Il est impossible de jouer plus cavalièrement et plus aveuglément avec les choses qui brûlent. Si on les prenait, si eux-mêmes se prenaient au mot, mais bon Dieu ! il n’y aurait plus qu’à s’en aller dans le désert, et à abandonner la société à ceux qui ont juré sa ruine. Il est heureux, pour l’honneur du pays, pour la sécurité même du pouvoir, que la majorité résiste encore aux provocations qui lui sont adressées tous les jours, et qu’elle ne descende pas sur le terrain si facile des représailles. Il faut espérer qu’elle gardera sa dignité ; il faut espérer que l’opposition elle-même, nous parlons de l’opposition constitutionnelle, sentira le danger de la voie dans laquelle elle est entrée. Après tout, dans ces luttes sans honneur et sans retenue, c’est l’opposition elle-même qui souffre le plus ; elle y perd non pas seulement sa considération, mais les avantages que pourraient lui donner les fautes des dépositaires du pouvoir. L’opinion publique, dans les cas même où elle aurait pu être disposée à la sévérité, s’arrête devant de pareilles violences ; elle se demande si des jugemens aussi exagérés peuvent être impartiaux et désintéressés. C’est ainsi que l’opposition a servi le ministère par les excès auxquels elle s’est abandonnée ; les plus sages et les plus éclairés parmi elle ont fini par le comprendre, et on a vu M. Dufaure protester tardivement contre cette déplorable dégradation de la lutte parlementaire.

M. Dufaure n’est pas le seul qui ait senti le besoin de revendiquer la dignité et la liberté de la discussion ; M. de Lamartine l’a fait aussi en un langage éloquent, que nous n’avons pas été surpris de rencontrer dans sa bouche. Cela était digne de l’illustre orateur ; la noblesse native de ses sentimens, la distinction de ses goûts, la délicatesse de ses instincts, en un mot la pure aristocratie de son esprit, l’élevaient naturellement au-dessus de ces misères. On éprouve comme une sensation de bien-être en sortant de cette atmosphère impure pour entrer dans une grande et large discussion. On doit, pour cela, des remerciemens à M. de Lamartine comme à M. Thiers ; l’un et l’autre ont rappelé la chambre au sentiment de sa dignité. Le discours que M. de Lamartine a prononcé sur les affaires d’Italie a eu toutes les qualités et aussi tous les défauts de l’illustre poète, beaucoup d’imagination, peu de réalité. Parmi les nombreuses distinctions qu’il a établies, M. de Lamartine a négligé la principale, celle du