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fut point le fruit stérile d’une rêverie solitaire, mais un des résultats inévitables de l’agitation intellectuelle du XVIe siècle, une des phases que la pensée moderne devait nécessairement traverser.

Deux mouvemens d’idées ont signalé le siècle orageux où vécut Michel Servet : premièrement, la renaissance des systèmes philosophiques de l’antiquité, entre lesquels on sait que le platonisme eut surtout le privilège de séduire les esprits ardens ; puis la réforme de Luther et de Calvin, laquelle, touchant aux croyances, agitait profondément toutes les ames. La doctrine philosophique et religieuse de Michel Servet s’explique tout entière par le concours de ces deux grands mouvemens.

La réforme a été, sans doute, un coup de hardiesse, et ce serait un étrange paradoxe que de taxer Luther de timidité ; mais, si le moine de Wittenberg fit voir une singulière audace dans le caractère, il en eut beaucoup moins dans l’esprit, et ce même contraste se retrouve dans tous les réformateurs. Si vous ne regardez qu’aux faits matériels, aux côtés visibles de la religion chrétienne, Luther, Zwingle, Calvin, sont de rudes révolutionnaires ; mais regardez aux idées, à l’économie intérieure des dogmes religieux, ces mêmes hommes vous paraîtront les plus scrupuleux observateurs de l’antique foi. La messe transformée en cène, le culte des saints détruit, les images proscrites, cinq sacremens supprimés, les indulgences foulées aux pieds, le purgatoire aboli, voilà, ce semble, de graves changemens. Ils sont graves, sans doute ; mais, s’ils modifient la forme du christianisme, ils ne touchent que très peu au fond.

Le christianisme, en effet, repose sur un certain nombre de dogmes liés entre eux par une logique secrète, et qui, dans leur simple et puissante économie, forment un indivisible faisceau. On peut les réduire à quatre : le dogme de la Trinité, le dogme de la création, le dogme de l’incarnation, le dogme de la rédemption. Toute la métaphysique du christianisme est contenue dans les trois premiers dogmes, et la réforme n’y a pas touché. Son effort a porté sur le quatrième, le dogme de la rédemption, qui fait la base de la morale chrétienne. Or, il faut remarquer que le but des réformateurs, ce n’était point de fonder une morale nouvelle, mais de rendre à sa pureté la morale de Jésus-Christ, de ranimer cette morale sainte, étouffée sous le paganisme des symboles et sous l’observation judaïque des rites extérieurs. En voulant purifier le dogme de la rédemption, Luther et Calvin l’auraient-ils altéré dans son essence ? Non, ce serait trop dire ; ils l’ont seulement développé d’une façon exclusive : force d’abonder dans le sens de la grace, dans le sens de saint Paul et de saint Augustin, sans y joindre les contre-poids nécessaires, ils ont perdu l’équilibre, et incliné de toute l’audace de leur caractère, de toute l’ardeur de leur ame, de toute la