Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/629

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

flots de sa perruque noire. La Graponnière marchait d’un pas un peu lourd à côté de la chaise, et prenait de temps en temps la liberté de faire tout haut quelque réflexion chagrine sur la longueur du trajet et le mauvais état du chemin. Les deux litières suivaient au petit pas des mulets, lesquels, harnachés pour la circonstance, s’avançaient fièrement, le poitrail couvert de leur tablier de franges et de sonnailles, la tête ornée de pompons de laine de toutes couleurs. Quelques valets faisaient cortège et, bien loin en arrière, l’abbé Gilette et son élève venaient en se promenant à travers champs.

Lorsque la cavalcade eut gravi les rampes escarpées qui aboutissaient au sommet de la montagne, le marquis ordonna de faire halte, afin que bêtes et gens pussent souffler et se reposer un peu. Les litières s’arrêtèrent, La Graponnière s’assit en soupirant sur un des bâtons de la chaise à porteurs, et la livrée se tint respectueusement debout à distance.

Les cimes rocheuses de la montagne s’affaissaient en cet endroit, et formaient une sorte de plateau où croissaient les espèces végétales qui se plaisent dans les sites âpres et battus des vents. Des restes d’anciennes constructions couvraient tout cet espace et le disputaient aux plantes sauvages ; les touffes odorantes du romarin, et de quelques ombellifères aux petites fleurs pâles cachaient à demi les voûtes effondrées et les larges assise de grès coquillier qui marquaient, raz de terre, l’enceinte écroulée d’un vaste édifice. Le chemin traversait ces décombres, et passait devant les débris d’un mur circulaire qui indiquait la place où s’élevait jadis la tour seigneuriale. Cette ruine dominait encore toute contrée, et, aussi loin que la vue pouvait s’étendre, on découvrait une campagne absolument déserte et non moins stérile que les environs de la Roche-Farnoux.

Le marquis avança la tête hors de sa chaise, comme pour reconnaître le terrain, et dit en se renfonçant aussitôt entre ses carreaux de soie cramoisie : — Nous voici sur les domaines de M. de Champguérin, je reconnais les ruines de l’ancien château et les roches à pic qui lui servaient de boulevard ; il y a nombre d’années cependant que je n’avais passé par ici. Et toi. mon vieux La Graponnière ?

— Moi de même, monsieur le marquis, répondit piteusement l’écuyer de main, mais je n’avais pas si bien gardé la mémoire de ce chemin-ci ; il me semble, en vérité, qu’autrefois la montagne n’était pas si élevée.

— Quoi ! c’est là l’ancien château de Champguérin s’écria Clémentine en regardant autour d’elle, juste ciel ! il n’en reste pas pierre sur pierre.

— Cela n’a rien d’étonnant, attendu qu’il a été incendié et rasé durant les guerres de religion, répondit La Graponnière. Il conste de