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marquis riait dans sa chaise, et disait à l’écuyer de main qui marchait à ses côtés : — mon vieux La Graponnière, regarde donc le petit baron, comme il parle avec feu à Mme de l’Hubac, comme il fourre les mains au milieu des ronces afin de lui donner les plus belles fleurs, et s’égratigne bravement pour l’amour d’elle !

— À son âge monsieur le marquis, vous faisiez encore mieux, répondit gaillardement La Graponnière.

— C’est vrai, murmura le vieux seigneur avec une expression de fatalité comique.

Durant cette espèce de commentaire, Antonin et Clémentine faisaient ensemble un gros bouquet, et, en effet, le petit baron affrontait les épines acérées des églantiers pour atteindre les plus belles fleurs ; mais, après les avoir examinées, il les jetait aussitôt à sa cousine en lui disant avec dépit : — Tiens, je croyais y trouver l’arlequin doré ou le gribouri à bandes ; mais, que le ciel me confonde il n’y a rien sur la tige, rien entre les pétales, que des pucerons et de vilaines fourmis noires !

— Quel malheur ! répondit Clémentine d’un air de commisération ironique ; mais, va, console-toi, nous le trouverons un peu plus loin, ton arlequin doré, là-bas peut-être, au détour du sentier.

E !!e courut en avant, et bientôt s’arrêta subitement les mains jointes et en s’écriant avec un naïf transport : Que c’est beau, mon Dieu je vois des arbres !…

Les flancs de la montagne, profondément déchirés en cet endroit, formaient une vallée toute pleine d’ombre et de fraîcheur. C’était comme une oasis jetée au milieu de ces terrains bouleversés et stériles dont l’œil se fatiguait à mesurer l’étendue. Au-dessous des rocs grisâtres, rayés de bandes fauves, dont les immenses parois dominaient le vallon, il y avait une couche de terre humide et grasse où croissaient les plus beaux arbres de nos climats, le chêne gaulois, le gai peuplier, le tremble aux feuilles d’argent. Un filet d’eau murmurait sous ces ombrages, à travers une prairie naturelle, où il y avait moins d’herbes que de fleurs, le clocher d’une pente laquelle abritée au pied des rochers se montrait entre les feuillages avec sa croix fleuronnée et plus loin encore, à l’endroit où commençait la zone aride des terres argileuses on apercevait quelques pauvres maisons groupées au hasard : c’était le village Champguérin. L’habitation seigneuriale était bâtie sur un tertre adossé aux dernières ramifications de la montagne, elle dominai ainsi toute à la fois l’entrée du vallon et le triste paysage qui se déroulait inculte et désert jusqu’à l’horizon lointain.

— Quelle bicoque : s’écria le marquis en reconnaissant la demeure de M. de Champguérin.

— Il doit régner environs une grande humidité, observa La Graponnière.