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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/645

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là-bas M. de Barjavel ? À sa place, mademoiselle, j’aimerais mieux être ici à vous faire ma cour que de me promener ainsi tout seul avec mes pensées.

— Assurément monsieur, ce n’est pas à moi qu’il songe en ce moment, dit Clémentine avec un léger sourire.

— C’est singulier, répliqua M. de Champguérin, je répondrais presque du contraire.

— Eh ! pourquoi donc, monsieur ? demanda-t-elle naïvement.

— Parce que vous êtes belle et charmante, répondit M. de Champguérin ; parce qu’il vous aime, sans doute, et que vous l’aimez peut-être.

— Moi s’écria Clémentine avec un geste de dénégation énergique et en regardant M. de Champguérin avec une expression indicible de reproche et de tendresse. Il tressaillit intérieurement de surprise et d’orgueil ; ce mouvement involontaire, cette exclamation, avaient suffi pour l’éclairer ; il venait de comprendre tout à coup qu’il était aimé de cette jeune fille si timide, si fière, si divinement belle. Interdit un moment à cette espèce de révélation, il détourna la vue et garda le silence, mais nul homme au monde n’était plus habile à dissimuler ses impressions ; il affecta un visage attristé et, prenant dans sa main la main tremblante de Mlle de l’Hubac, il lui dit d’un ton simple et sérieux : — Combien je me reproche, mademoiselle ce badinage qui vous a déplu, je le vois bien. Je sais que ni votre cousin ni personne au monde n’a eu le bonheur de toucher votre ame. Ce que je disais était un propos sans conséquence que je vous supplie de me pardonner.

En entendant ces paroles, la pauvre enfant se figura qu’elle ne s’était point trahie et que celui qu’elle aimait n’avait aucun soupçon de ce qui se passait dans son cœur. Elle serra faiblement, en signe de pardon, la main qui laissait aller la sienne, et dit d’une voix altérée : — je ne suis point fâchée, monsieur, mais votre supposition m’a causé un grand étonnement : est-ce que je puis aimer Antonin autrement que comme un frère ! Et lui-même ? Tenez, monsieur, à quoi croyez-vous qu’il songe maintenant, là-bas, sur la terrasse ?

— Ceci me paraît clair, répondit M. de Champguérin entre un soupir et un sourire ;, il vous regarde de loin et rêve comme les amoureux.

— Eh ! non, monsieur, fit-elle en souriant aussi, il observe depuis une heure une procession de fourmis qui travaille à se barricader contre la pluie, et certainement il n’a pas une seule fois levé les yeux de ce côt.

— Est-il possible ! murmura M. de Champguérin avec une inflexion de voix singulière et en arrêtant sur la belle Clémentine ses grands yeux expressifs. Puis il fit vivement un pas en arrière et qui tta le balcon.

Personne n’avait écouté cet entretien d’un quart d’heure, mais un