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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/652

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de joie : — Graces au ciel ! voilà toutes les espérances de M. de Champguérin déjouées et perdues ! — Puis, se ravisant, elle reprit d’un ton moins animé : — Je veux la première faire mon compliment à cet aimable petit baron qui épouse ma charmante nièce. Mme de Barjavel ne s’attendait pas à tant de bonheur pour son fils !

— Depuis long-temps je lui avais fait part de mes intentions, répondit le marquis.

— Elle en avait bien gardé le secret ! murmura Mlle de Saint-Elphège, quelle femme mystérieuse et muette !

— Ainsi ce mariage sera déclaré demain y reprit le vieux seigneur, et, dans quinze jours, il y aura ici de belles noces. Je pense, ma nièce que vous voilà rassurée à l’endroit de ce pauvre Champguérin ; il pourra venir ici tous les jours faire ma partie d’hombre sans que vous preniez souci de ses assiduités.

— Au contraire, répliqua vivement la vieille fille : j’y verrai une preuve que je m’étais trompée sur ses intentions, et je le tiendrai pour le plus honnête homme du monde.

— Je suis fort aise de l’avoir rétabli dans vos bonnes grâces, dit le marquis avec quelque malice. Allez, ma nièce je vous donne le bonsoir.

— Mon oncle, je vous présente mon respect et vous souhaite une bonne nuit répondit Mlle de Saint-Elphège en faisant une grande révérence au pied du lit.

Elle en alla, précédée par le valet de chambre qui portait un flambeau, et regagna son appartement, situé dans un autre corps de logis à côté de celui de Mlle de l’Hubac ; mais elle avait l’esprit trop agité pour essayer de prendre quelque repos, et, au lieu de se mettre au lit, elle se plongea dans un fauteuil en face de sa fenêtre, les yeux ouverts, rêvant tout éveillée qu’elle était déjà au lendemain et qu’elle avait la joie d’apprendre à M. de Champguérin qui l’écoutait, confondu, désespéré, le prochain mariage de Clémentine. Tandis qu’elle savourait ainsi d’avance le plaisir d’être si tôt et si bien vengée, son regard erra machinalement sur l’enceinte qui séparait la tour du donjon du corps de logis qu’elle habitait. C’était une espèce de préau, environné d’arceaux en ogives comme le cloître d’un vieux monastère, et au centre duquel s’élevait la margelle d’une citerne. Les salles du rez-de-chaussée, qui s’ouvraient sous les galeries, étaient inhabitées depuis long-temps, et l’on entrait rarement dans cette partie reculée de l’antique manoir.

En ce moment, la lune, encore voilée de nuages, éclairait faiblement les sombres murailles de la tour et l’enceinte silencieuse du préau. Tout à coup Mlle de Saint-Elphège eut une hallucination ; il lui sembla qu’une forme humaine passait sous les arceaux, et que cette espèce de fantôme avait la taille et le port de M. de Champguérin. L’illusion fut si complète,