venait de se passer. Le digne homme a été un peu troublé en apprenant que M. le marquis me retirait ses bonnes grâces et me chassait la Roche-Farnoux ; mais les gens comme lui, les vrais savans, ont une philosophie qui les met au-dessus de tous les événemens, et il m’a dit aussitôt, avec beaucoup de résolution : — Puisque cela est ainsi, monsieur, nous partirons ensemble ; allez trouver Mme la baronne, et demandez-lui ses ordres ; qu’elle décide où vous devez aller ; j’aviserai ensuite, avec vous sui les moyens de faire le voyage. » Je courus chez ma mère. Oh ma chère Clémentine, j’avais bien plus d’appréhension de l’aborder, après ce qui venait de se passer, que d’affronter le courroux de M. le marquis et l’indignation de ta tante Joséphine ! Heureusement, elle ne m’a point reçu avec un visage irrité. C’est une personne d’un naturel rigide que ma mère, mais elle est juste et généreuse. Au lieu de me faire des reproches, elle a tout de suite cherché les moyens de remédier à la peine où elle me voyait. Lorsque je lui ai dit la détermination de M. l’abbé, elle en a eu une grande joie. Je serai tranquille ainsi, s’est-elle écriée ; partez, mon fils, c’est peut-être un grand bien que vous vous éloigniez d’ici pour un temps Quand même votre oncle vous aurait, sans retour, ôté son amitié, vos intérêts n’en souffriront pas, puisqu’il me laisse toujours ma part de son héritage. Je vous laisse le maître d’aller où vous voudrez, sous la conduite de M. l’abbé, et vous recommande seulement d’être exact à me donner de vos nouvelles. Après m’avoir parlé ainsi, elle a pris dans son armoire un rouleau de papiers et l’a mis entre mes mains, en me disant que c’étaient les titres du peu de bien qu’avait laissé mon père, et qu’elle entendait que j’en eusse la jouissance dès à présent, et, pour comble de bonté, elle a joint tout l’argent qu’elle tenait en réserve, en m’ordonnant absolument de le prendre. Je me suis jeté à ses genoux pour la remercier et lui demander pardon de ma désobéissance. Alors elle m’a embrassé en m’assurant de son amitié. Ah ma bonne Clémentine, j’étais tout joyeux et tout attristé en la quittant. J’ai été retrouver M. l’abbé, et nous avons tout de suite décidé que nous commencerions par voyager dans toute l’Italie.
Tandis que le petit baron parlait ainsi, Mlle de l’Hubac l’écoutait, consternée et le cœur gonflé de chagrin.
— Ainsi donc, tu vas partir, lui dit-elle d’une voix altérée qui sait, hélas ! combien de temps durera ce voyage et quand nous nous reverrons !
— Dans quelques années peut-être, répondit-il.
— Tu me quittes pour si long-temps, juste ciel ! mais, après ce voyage en Italie, où veux-tu donc aller encore, mon cher Antonin ?
— Je ne sais pas ; la terre est si grande répondit-il gaiement, une fois parti, je suis capable de faire le tour du monde !