fit tomber le pouvoir de leurs mains dans la nuit même où ils l’avaient conquis à l’assaut du Belvédère.
Le pouvoir échut aux différentes nuances du parti stationnaire : ce n’était pas celui-là qui était capable de rendre à la nationalité polonaise cette large base qui lui manquait, d’associer le peuple entier dans un même effort en réparant des iniquités séculaires, de sauver enfin la patrie en multipliant les citoyens. Parmi les stationnaires venaient d’abord les ultras de l’aristocratie, qui prétendaient garder sur leurs paysans tous les droits d’autrefois, et sacrifiaient sans scrupule les plus glorieuses espérances à leur aveugle cupidité de propriétaires. Venaient ensuite les généraux, ceux qu’on appela les prétoriens, des officiers de l’école impériale qui n’avaient pas de foi dans la vertu des élans populaires, qui comptaient pour rien des soldats sans uniforme, et ne voulaient point par conséquent porter la guerre en dehors du royaume de Pologne, parce qu’en en sortant, ils n’auraient plus trouvé d’armée de ligne à commander. Enfin les constitutionnels admettaient bien l’affranchissement des serfs, mais à la condition qu’on y procédât en détail, avec des mesures successives, et, d’autre part, trop scrupuleux observateurs d’une légalité qu’il était alors moins périlleux de violer que de maintenir, ils voulaient limiter l’insurrection aux sept provinces qualifiées de royaume dans le congrès de Vienne ; ils voulaient se couvrir du nom de Nicolas roi de Pologne pour combattre Nicolas empereur de Russie.
Ni le parti stationnaire ni le parti du mouvement ne pensaient donc alors à commencer la révolution politique par une révolution sociale ; ni l’un ni l’autre ne dépassaient guère la constitution du 3 mai 1791, et, si des deux côtés les plus éclairés voulaient, soit progressivement, soit en un coup, supprimer le servage, il n’en était point qui, poussant plus loin cet essai de réforme, en fissent la base même d’un système entier d’émancipation nationale. C’était dans l’exil que les esprits devaient s’ouvrir, embrasser une idée plus large de la patrie, et mieux comprendre le vrai rôle des patriotes.
L’émigration a toujours été pour la Pologne un apprentissage salutaire. Les premiers Polonais qui émigrèrent en accompagnant Stanislas Leckzinski se façonnèrent, chez nous, à ces idées de monarchie régulière qui se produisirent un instant chez eux dans la constitution du 3 mai. Ceux qui, après la chute de Kosciuzko, vinrent grossir les armées de la république française, sous les ordres de Dombrowski, furent formés en même temps par cette héroïque discipline et à l’habitude de la victoire et au sentiment de la fraternité. Le nom de frère (bracca), dont les gentilshommes n’usaient jusque-là qu’entre eux, s’appliqua désormais à quiconque portait les armes. Mettant tout son espoir dans cette