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les résultats sont limités, l’agriculteur accomplit son œuvre en silence, tandis que la pique du mineur retentit, pour ainsi dire, jusqu’au bout du monde, augmentant d’une parcelle, à chacun de ses coups, l’amas des richesses humaines. A côté de lui, le bien-être ne tarde pas à s’établir ; le penchant des collines, les ravins, les sommets des montagnes se couvrent de populations improvisées au milieu desquelles ses mains toujours ouvertes sèment en un jour le fruit de ses travaux d’un mois. Depuis le mineur français Laborde, qui prodiguait jadis les millions aux cathédrales, jusqu’au plus obscur peon, L’histoire de ce hardi travailleur est toujours la même : le hasard est le seul dieu devant lequel il s’incline. Il accepte son pénible labeur comme une mission providentielle, et cette pensée orgueilleuse trouve dans la loi même une sorte de consécration : d’anciens privilèges accordaient la noblesse à l’ouvrier des mines ; encore aujourd’hui, le mineur ne peut être dépossédé par des créanciers tant qu’il trouve à exercer sa profession. Il semble qu’on ait voulu faire respecter en lui le descendant d’une race privilégiée. Outre l’instinct métallurgique qui transforme pour lui les plus faibles indices en signes infaillibles, le mineur doit être, en effet, doué d’un ensemble de qualités bien rares, depuis la vigueur nécessaire pour soulever les plus lourds fardeaux et supporter, pendant tout un jour, les fatigues accablantes d’un travail souterrain, jusqu’à l’agilité, à la témérité, qui bravent tous les obstacles, et au sang-froid qui les déjoue. Ces qualités, il faut bien le dire, ne se rencontrent jamais chez le même homme qu’associées à d’assez grands défauts. Capricieux et indiscipliné, s’il est à la journée, le mineur ne déploie tout son tact et toute son énergie que lorsqu’il est intéressé au succès de l’entreprise dans une large proportion. C’est alors que souvent après un mois pendant lequel il a gagné à peine de quoi vivre, le bénéfice d’une semaine, d’un jour, le dédommage de ses privations. Le mineur remercie le hasard ; dès ce moment, il sème son or à pleines mains, et il ne reprendra ses travaux que contraint par la plus impérieuse nécessité. Parfois encore ce sont des moyens illicites qui l’enrichissent aux dépens d’un propriétaire trop confiant, et l’imagination de ces hommes aventureux n’est malheureusement que trop fertile en expédiens de ce genre.

C’est au milieu d’une population en grande partie composée de mineurs que je nie trouvais à Guanajuato, après un pénible et inutile voyage dont on n’a peut-être pas oublié les péripéties[1]. Je ne voulus pas perdre l’occasion qui s’offrait à moi d’observer sur son vrai théâtre un type dont les gambusinos ou chercheurs d’or de la Senora ne m’avaient donné qu’une idée bien imparfaite. Le lendemain d’une journée consacrée à un repos que des émotions multipliées m’avaient rendu

  1. Voyez la livraison du 15 décembre 1847.