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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/715

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de Fuentes, on nous ramena nos chevaux, celui-ci, tout en revêtant le fastueux costume qu’il avait dépouillé pour jouer son rôle, gardait un silence que je ne voulus pas troubler. J’avais mis déjà le pied à l’étrier, quand un vieillard s’approcha de moi. J’eus peine à reconnaître, sous un costume qui ne le cédait guère en richesse à celui de Fuentes, le vieux mineur que j’avais vu nu et agenouillé près de l’autel.

— Vous me pardonnerez de vous avoir manqué de parole, me dit-il, mais le devoir que j’avais à remplir m’a retenu plus long-temps que je ne pensais. Vous avez dû entendre l’explosion de la mine, il y a une demi-heure à peine.

— C’est vrai, lui dis-je ; on m’a raconté aussi une bien lugubre histoire !…

— L’enfant a bien fait, reprit le vieux mineur en se redressant avec orgueil, vous pourrez dire dans votre pays que les mineurs sont une race à part, et qu’ils savent préférer la mort au déshonneur.

J’avais vu les chercheurs d’or de l’état de Sonora, j’avais admiré l’espèce de grandeur qui relevait leur physionomie, car tout, dans le désert, prend de plus larges proportions ; mais, au sein des villes, le type du mineur perdait à mes yeux bien du prestige. Le caractère fantasque et indéfinissable de Fuentes, l’immoralité de Planillas, avaient causé ce désenchantement. Le récit que je venais d’entendre, en même temps qu’il complétait mes notions sur une caste à part, me prouvait cependant que le mineur n’avait pas tout-à-fait dégénéré : les vices de Planillas, les travers de Fuentes, comme les ombres d’un tableau, disparaissaient devant la figure austère du vieillard stoïque qui me laissait pour adieu de si fières paroles, et j’oubliais Osorio pour ne plus me souvenir que de Felipe.


IV

Je crus le moment enfin arrivé de prendre congé de Fuentes, à qui je gardais une rancune d’autant plus profonde, que l’amour-propre m’ordonnait de la lui cacher :

— Eh quoi ! me dit-il, n’allez-vous pas à la ville ? J’y vais aussi, et vous trouverez bon, j’espère, que je vous accompagne.

Nous partîmes. Le soleil baissait, et il était douteux que nous pussions atteindre Guanajuato avant la tombée de la nuit. Pendant le trajet, Desiderio ne cessa de m’entretenir de l’excellence de sa profession et des faits et, gestes des mineurs ; mais cette fois je gardais un silence obstiné, maudissant le fâcheux dont je ne pouvais me défaire. Tout à coup Fuentes s’interrompit et se frappa le front.