Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/725

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

début, heureusement conservé[1], du poème de Parménide. Le poète qui, dans d’autres vers que nous avons aussi, a exprimé avec gravité, avec précision, mais non sans sécheresse, la notion abstraite de l’être, représente ici, sous la figure d’un sublime voyage, l’essor de son esprit, loin des apparences sensibles, vers la suprême vérité.

« Les coursiers qui m’emportent m’ont fait arriver aussi loin que s’élançait l’ardeur de mon esprit ; par une route glorieuse, ils m’ont conduit à la divinité, qui introduit dans les secrets des choses le mortel qu’elle instruit. Là je tendais et là aussi m’ont transporté les coursiers renommés qui entraînaient mon char. Des vierges le conduisaient, des vierges filles du Soleil, quittant le séjour de la nuit pour aller vers la lumière, et de leurs mains écartant le voile étendu sur leur front. Dans le double cercle, ouvrage de l’art, où s’enfermaient ses extrémités, sifflait l’essieu brûlant pendant ce rapide voyage.

« Il est des portes placées à l’entrée des chemins et de la nuit et du jour ; entre un linteau et un seuil de pierre roulent, au milieu de l’éther, leurs immenses battans ; la sévère Justice a la garde des clés qui les ferment et les ouvrent. C’est à elle que s’adressèrent les vierges ; elles surent en obtenir, par de douces paroles, qu’elle retirât sans délai le verrou à forme de gland qui retenait les portes ; une large ouverture se fit entre leurs battans, qui s’écartaient d’un vol agile, faisant rouler dans les écrous les gonds d’airain solidement attachés. Par ce passage, les vierges précipitèrent dans le chemin devenu libre le char et les coursiers.

« La déesse m’accueillit favorablement, et, ma main droite dans la sienne, m’adressa ces paroles :

« Jeune homme dont le char est guidé par d’immortelles conductrices et que tes coursiers ont amené dans ma demeure, réjouis-toi. Ce n’est pas un sort contraire qui t’a poussé dans une route si éloignée de la voie ordinaire des hommes ; c’est la loi suprême, la justice. Tu es destiné à tout connaître, et ce que recèle de certain le cœur de la persuasive vérité et ce qui n’est qu’opinion humaine, où ne se rencontre pas la foi, mais bien l’erreur. Tu apprendras par quelles pensées tu dois sonder le mystère du grand tout, pénétrer toutes choses. »

La philosophie, non plus que l’histoire, ne peuvent long-temps parler en vers. Un moment arrive en Grèce où l’une et l’autre passent à la prose, l’histoire d’abord, ensuite la philosophie. Le poème didactique cède tout-à-fait la place à des genres d’une inspiration plus vive, plus animée, qui captivent plus puissamment la curiosité et l’intérêt, qui exercent plus d’empire sur les esprits, au genre dramatique surtout, dans lequel semble se concentrer tout entière la faculté poétique des Grecs. Quand, après un long-temps, finit son règne exclusif, et que de la poésie, qu’il a comme épuisée, il ne reste plus que la versification, l’école alexandrine en applique industrieusement les formes à la science, dans de nouveaux poèmes didactiques, qui sont comme la dernière ressource d’une littérature en détresse ; poèmes dont l’érudition, l’archéologie,

  1. Sext. Empir., Adv. Math., VII, s. III.