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« Comment, sur le damier, où sont disposées trois à trois de petites pierres polies, on fait arriver jusqu’au fond, sans interruption dans leur marche, les pièces de son jeu.

« Enfin, pour achever ce détail, ils ont enseigné tous ces jeux où nous perdons le bien le plus précieux, notre temps. »

L’énumération de toutes ces compositions didactiques si peu sérieuses n’est point terminée :

« Un autre dit les formes diverses de la balle et comment on la lance, un autre l’art de la nage, un autre celui du cerceau.

« Il en est qui ont appris à composer les couleurs de son visage. »

Ovide n’était pas non plus tout-à-fait innocent à cet égard, lui qui avait écrit ses Medicamina faciei (nous en avons quelque chose, et qui en avait parlé si magnifiquement :

« J’ai moi-même traité des préparations qui entretiennent votre beauté dans un livre bien petit, sans doute, mais de grande importance[1]. »

Mais il est temps de clore avec lui cette longue revue :

« Tel a écrit le code de l’hospitalité, des repas ; tel a traité de l’argile dont se fait la poterie, de la pâte la plus propre à conserver le vin frais.

« On s’égaie volontiers par de telles compositions aux jours fumeux de décembre, et jamais elles n’ont causé la perte de personne. »


Ces vers sont vraiment caractéristiques ; ils révèlent à quels excès descriptifs était arrivée, dès le temps d’Auguste, chez les Romains comme chez les Grecs, comme chez nous, la poésie didactique. Là aussi, après avoir, d’abord dans des poèmes gnomiques, ensuite dans des poèmes philosophiques et scientifiques, tantôt recueilli avec un art naïf, pour l’éducation d’une société naissante, les notions éparses de l’expérience, tantôt initié plus régulièrement une société plus polie aux systèmes des penseurs et des savans, le genre didactique aboutissait inévitablement à l’ingénieux et élégant mensonge de leçons sans disciples, simples thèmes de style et de versification pour des talens désoeuvrés, frivoles et froids amusemens d’une société blasée.

Un couple sérieux qu’avec fureur possède
L’amour du jeu rêveur qu’inventa Palamède,
Sur des carrés égaux, différens de couleur,
Combattant sans danger, mais non pas sans chaleur,
Par cent détours savans conduit à la victoire
Ses bataillons d’ébène et ses soldats d’ivoire.


PATIN.

  1. De Arte amandi, III, 205.