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politique s’appelait Philippe de Mornai, sieur du Plessis. L’amiral de Coligny, son protecteur et son coreligionnaire, présenta le mémoire au roi Charles IX. Ce qu’il y avait dans ce plan à la fois de sage et de hardi n’échappa point à l’esprit élevé de ce prince. Charles IX hésita même quelques jours ; mais l’influence de sa mère et de ses conseillers, Italiens ou Lorrains, l’emporta sur la grande pensée patriotique patronée par le parti calviniste, et la cloche du palais sonna la Saint-Barthélemy. L’amiral étant mort avec tous ses vieux capitaines, le roi de Navarre et le prince de Condé contraints d’abjurer leur foi pour sauver leur vie, et retenus captifs dans les délices énervantes du Louvre, le calvinisme semblait devoir succomber. Heureusement un principe ne meurt pas d’une perte de sang. Le calvinisme se transforma ; de l’aristocratie il descendit dans les classes bourgeoises, et jeta rapidement les bases d’une puissante organisation sociale. Duplessis-Mornai, échappé comme par miracle au massacre de la Saint-Barthélemy, dirigea ce nouveau mouvement des esprits, qui marchaient à la conquête de la liberté civile. Coligny, le chef militaire du calvinisme, avait suivi de près dans la tombe son chef religieux. Duplessis-Mornai devint son chef politique ; il représente dans l’histoire une face nouvelle de la réformation, et la plus intéressante à coup sûr pour nous, l’organisation sociale, l’application civile.

C’est ce rôle politique de Duplessis-Mornai, c’est cette phase intéressante et peu connue de l’histoire du calvinisme, que nous voudrions retracer. La vie publique de Duplessis-Mornai a été le sujet d’une étude estimable à beaucoup d’égards, et malheureusement incomplète. L’auteur, M. Joachim Ambert, a un peu négligé dans Duplessis le politique pour s’occuper surtout du soldat et du gentilhomme. « Qu’on ne cherche point ici, dit-il avec une noble franchise, la profondeur de vues, le charme du style, ce qui fait l’art et la science de l’homme de lettres : le cœur a dicté ces pages ; elles ont été écrites avec cet élan que nous donnons tous au bonheur. C’était bonheur, en effet, que la résurrection d’une si belle vie, vie d’étude et de guerre, vie pleine, complète, utile, à laquelle il ne manque pas même l’auréole du martyr. » Il faut cependant savoir se dérober au charme de cette vie guerrière pour mieux apprécier le mouvement politique et religieux dont Duplessis-Mornai est le représentant. Il faut s’élever un moment au-dessus des actions de l’homme pour saisir les influences qui les expliquent et les idées qui les dominent.


I

Dans le calvinisme, l’idée doit être distinguée de l’instrument. Calvin n’a pas réussi, en France, à faire triompher sa croyance, mais il a fondé la liberté de croire. Sa croyance était absolue, exclusive, comme toutes les religions doivent l’être ; sa politique a été juste et tolérante. Son dogme est basé sur la grace ; mais, pour soutenir ce dogme, il s’est appuyé sur le libre arbitre, sur la raison humaine. Ainsi, c’est l’instrument même qui a survécu à l’œuvre que Calvin prétendait servir ; le libre arbitre est aujourd’hui le résultat le plus précieux du calvinisme, dont il n’est cependant pas l’essence, et le dogme victorieux de la raison, se substituant peu à peu aux croyances primitives des réformateurs, a fait de leur religion même une sorte de philosophie, si bien que le rationalisme,