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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/757

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général du royaume, à la proportion duquel on diminuât les tailles qui ne portent que sur la plus faible et la plus misérable partie ; chose qui se pratique en plusieurs états voisins, où il se lève de plus grands deniers sur le total et où néanmoins le menu peuple est à son aise, parce que ce qui porte uniment sur tous ne foule aucune partie. »

Il est important de remarquer ici que ce programme calviniste, dont la sagesse a été pleinement confirmée par l’expérience des deux derniers siècles, ne fut bien compris et franchement adopté que par le tiers-état. Dès cette époque, on le voit, la bourgeoisie, que l’on n’a jamais plus violemment calomniée qu’aujourd’hui même après son triomphe, possédait le véritable esprit de gouvernement, et cet esprit, on peut même affirmer qu’elle l’a toujours manifesté dans l’histoire, parce que le travail et les difficultés de la vie ont développé en elle, avec l’amour de la paix et de la justice, cette rectitude et cette simplicité de vues qu’on appelle le bon sens chez les individus, et l’esprit public chez les peuples. N’oublions pas non plus que, dans le calvinisme, il faut distinguer avec soin la pensée politique de la pensée religieuse. Pour soutenir ses croyances nouvelles, la réforme a dû émanciper la raison humaine, et c’est là l’immense bienfait rendu par elle à l’humanité. J’ai indiqué en peu de mots quelle était la politique catholique à cette époque, c’est-à-dire l’application du principe théocratique au gouvernement des peuples ; elle tendait à effacer les nationalités, à dissoudre l’état, à rejeter la noblesse dans la féodalité et le peuple dans le servage et la barbarie. Quand le clergé voulut se servir de ce peuple même dans l’intérêt de la maison de Guise ou de la cour d’Espagne, les esclaves, un moment réveillés, se livrèrent à une sorte de délire fanatique, dont les plus mauvais jours de 93 peuvent seuls faire comprendre l’horreur. Et, chose étrange, on croit entrevoir dans le conseil des seize comme une grossière ébauche de la montagne, tandis que la vertu malheureuse des girondins semble déjà luire dans quelques grandes figures de la démocratie calviniste. Louchart, Bussi-Leclerc, Crucé, ont la sombre férocité et la triviale énergie des Couthon, des Chabot, des Marat, ils représentent la licence dans sa plus hideuse expression, comme Charnier, D’Aubigné, Duplessis lui-même, sont les images les plus nobles et les plus pures du dévouement malheureux à la liberté ; ils ont l’éloquence de Vergniaud et sa grace mélancolique.


IV

Le double mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche et de sa sœur avec l’infant d’Espagne était de nature à faire naître de justes alarmes dans le parti calviniste. L’alliance de la France et de l’Espagne était contraire à toutes les saines traditions de la politique et menaçante pour toutes les libertés. Le prince de Condé et les seigneurs qui avaient embrassé sa cause en firent le prétexte de leur seconde révolte, et l’assemblée de Grenoble s’en émut profondément. Le duc de Bouillon et le prince de Condé s’empressèrent d’entretenir les justes défiances des religionnaires et d’aigrir si bien leurs rapports avec la cour, qu’ils fussent naturellement entraînés à prendre les armes. Duplessis-Mornai, avec cette sûreté infaillible de coup d’œil et cette élévation de vues qui le guidaient, au milieu des difficultés du présent, vers un avenir toujours présent à sa pensée, se hâta