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croisée et avança la tête mais en ce moment un nuage couvrit la lune, le ciel s’assombrit ; la zone lumineuse où se trouvait M. de Champguérin se confondit subitement avec les ténèbres, et Mlle de Saint-Elphège ne distingua plus rien à travers ce chaos. Pendant quelques minutes, le préau et les galeries furent enveloppés d’un sombre crépuscule, et lorsque la lune, se dégageant enfin de ses voiles brumeux, montra de nouveau sa face sereine, M. de Champguérin et l’ombre qui le suivait avaient disparu.

Un quart d’heure plus tard, le groupe caché au fond de la galerie se retira dans le même ordre qu’il était venu ; seulement le marquis allait d’un pas plus rapide, et le moine suivait en silence, la tête baissée.

Mlle de Saint-Elphège ne songea pas à quitter la fenêtre ; immobile et les yeux fixés sur le préau, elle se demandait si tout ce qu’elle venait de voir n’était point un rêve, une vision, et s’efforçait de rappeler ses esprits troublés. Évidemment, il n’y avait pas eu mort d’homme, et son cœur était soulagé d’une grande inquiétude ; mais sa tête était bouleversée, et elle formait une foule de suppositions étranges, impossibles. Au petit jour, ne pouvant plus résister à ses anxiétés, elle se décida à descendre chez son oncle. Les gens n’étaient point réveillés, et le plus grand silence régnait encore dans le château. Pourtant Mme de Saint-Elphège remarqua avec surprise que la grande porte était ouverte déjà, et que Braguelonne, l’un des valets de chambre du marquis et celui qui était le plus en faveur auprès de son maître, achevait de harnacher deux mulets de bât qu’il venait d’amener au perron.

En entrant dans le passage qui communiquait de la chambre du marquis à la salle verte. Mlle de Saint-Elphège rencontra La Graponnière.

— Vous êtes déjà levé ? lui dit-elle à voix basse ; je n’ai pu reposer un instant non plus. Quelle nuit, grand Dieu !

— Une nuit des plus fatigantes ! répondit piteusement l’écuyer de main.

— Je viens m’informer des nouvelles de mon oncle, ajouta-t-elle. Annoncez-moi, je vous prie.

M. le marquis m’a donné l’ordre de ne laisser entrer personne pas même vous, mademoiselle, répondit La Graponnière en lui barrant respectueusement le passage.

Elle n’osa insister, et se retira fort effarée ; mais après avoir fait quelques tours dans la salle verte pour donner à l’écuyer de main le temps d’aller rejoindre son maître, elle revint sur ses pas et, s’approchant sans bruit de la porte entre-bâillée, elle essaya de voir ce qui se passait dans la chambre de son oncle. Bien que le jour naissant projetât ses rayons entre les volets mal joints, cette vaste pièce était, encore éclairée par les candélabres dont la lumière affaiblie se