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premier vaisseau à la droite de la ligne d’embossage, et ils détachèrent, pour l’accabler, leur plus gros navire armé d’une énorme catapulte. « Comme elle allait jouer, dit Pierre IV, notre vaisseau tira une bombarde dont la pierre, donnant dans le château d’arrière du Castillan, y fit des avaries et occit un homme. Tôt après ladite bombarde lâcha un autre trait qui férit l’arbre de la nef ennemie, en fit voler un grand éclat et navra plusieurs mariniers[1]. »

Maltraités dans toutes leurs attaques et désespérant de forcer la ligne ennemie, les amiraux castillans donnèrent le signal de la retraite après quelques heures de combat, et toute la flotte, virant de bord, gagna le large et cingla vers les îles Baléares. Don Pèdre se fit débarquer à Iviça et mit le siège devant la capitale de l’île. Ainsi, au lieu de profiter de la grande supériorité de ses forces navales pour détruire les escadres aragonaises dispersées, il employait son immense armement contre une place médiocre. Une faute si grossière n’échappa point au roi d’Aragon. Tirant aussitôt de tous ses ports les galères qui s’y trouvaient armées, il en forma une flotte de quarante voiles qu’il conduisit lui-même à Mallorque. Les prières de ses capitaines, qui le suppliaient de ne pas s’exposer dans une bataille navale, le déterminèrent à demeurer dans l’île, et il remit le commandement à son amiral don Bernal de Cabrera, le chargeant de ravitailler la place assiégée. Au premier bruit de la réunion d’une flotte aragonaise, don Pèdre, dans son ardeur de combattre, quitta précipitamment Iviça, abandonnant ses engins et son artillerie[2], et fit voile pour la côte de Valence. Il vint jeter l’ancre devant Calpe, près de l’embouchure de la rivière de Renia. La presqu’île de Calpe couvrait ses vaisseaux lorsqu’on signala la flotte d’Aragon. Pour le nombre et la force des navires, l’avantage était du côté des Castillans. Cabrera n’avait que quarante galères, don Pèdre en avait quarante et une et plus de quatre-vingts navires à voiles ; mais, pour que ces derniers pussent prendre part au combat, il fallait un vent favorable, et, au moment où les deux flottes se découvrirent, il faisait un calme plat. On tint conseil. Le Génois Boccanegra, amiral de Castille, conseillait au roi de descendre à terre, lui remontrant qu’il était indigne de lui de combattre de sa personne dans une bataille où le roi d’Aragon ne se présentait pas. Peut-être Boccanegra voulait-il décliner la responsabilité de la vie du roi, une imprudence, une fausse manœuvre, les hasards de la mer, pouvant exposer son vaisseau à une destruction inévitable ; peut-être l’amiral prétendait-il se réserver à lui seul l’honneur de la

  1. Carbonell, p. 187. — Ayala, p. 277 et suiv. — Zurita, p. 294.
  2. Carbonell, p.187, verso.