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VII.

Quinze jours environ s’étaient écoulés depuis les obsèques du marquis, son héritière était entrée en possession des grands biens qu’il avait laissés ; mais la Roche-Farnoux ne présentait pas un aspect riant et plus animé que durant la vie du vieux seigneur. Mlle de Saint-Elphège était occupée à signer les paperasses que ne cessaient de lui envoyer ses gens d’affaires. La Graponnière n’ayant plus personne à servir, vaguait tout le jour dans le château comme un chien qui a perdu son maître, et Mlle de l’Hubac ne sortait guère de sa chambre que pour paraître à table, et pour faire le soir compagnie à sa tante. La pauvre fille était tombée dans une noire mélancolie ; sa beauté pâlissait, sa physionomie exprimait une douloureuse langueur, et il était facile de s’apercevoir qu’elle pleurait souvent en secret. Mme de Saint-Elphège la laissait à elle-même, jugeant qu’il fallait attendre que ce grand chagrin s’apaisât par l’effet de sa propre violence ; pourtant, un jour que sa nièce lui sembla plus abattue et plus dolente, elle lui dit avec une certaine aigreur : — Ma chère Clémentine, vous ne vous consolez pas ! Mais par quelles paroles menteuses vous a-t-il donc séduite, ce traître ! par quels faux sermens est-il parvenu à vous abuser ?

— Il ne m’a point trompée, répondit vivement la jeune fille ; jamais il ne m’a parlé de ses sentimens.

— Pourtant, vous êtes persuadée qu’il vous aime, s’écria la vieille demoiselle.

— Oui, pour son malheur et pour le mien ! murmura Mlle de l’Hubac avec une sourde exaltation.

— C’est exactement ce que je pensais moi-même autrefois ! Murmura sa tante Joséphine en haussant les épaules.

Un soir, les deux dames veillaient tristement dans la salle verte ; assises au coin de la cheminée, leur broderie à la main, elles travaillaient en silence et laissaient parfois aller l’aiguille en relevant la tête pour écouter les mugissemens furieux du vent qui ébranlait les croisées et s’engouffrait bruyamment dans les longs corridors du château Un peu plus loin, La Graponnière, penché sur le tapis vert jouait tout seul aux tarots et regrettait au fond de son ame la partie d’hombre.

— Jésus qui donc sonne si tard et par un temps pareil à la grande porte ? s’écria Mlle de Saint-Elphège en prêtant l’oreille. Avez-vous entendu, Clémentine ?

— Oui, ma tante, j’ai entendu la cloche, répondit-elle d’un ton apathique ; on n’attend personne ici ; c’est peut-être un de ces coups de vent terribles qui aura fait tinter le battant.

— Pourtant on ouvre la grande porte, interrompit la vieille demoiselle