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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/815

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sauvage et déserte de l’état ecclésiastique. Notre dessein avait été d’abord de visiter les principales villes d’Italie ; mais, nous étant un peu détournées de notre chemin pour aller voir la cascade de Terni, nous sommes arrêtés dans ces grandes montagnes où il y a une infinité d’animaux et de plantes rares, entre autres le lacerta occhiata, qui est un lézard de toute beauté, et un ilex dont la feuille nourrit des familles de colimaçons fort intéressantes. M. l’abbé y a fort augmenté sa collection de chardons, laquelle doit être actuellement une des plus belles et des plus complètes qui soient au monde. Quant à moi, j’ai découvert plusieurs espèces d’insectes, entre autres un beau cérambix écarlate auquel j’ai donné ton nom. Le hasard nous a fait rencontrer dans ces solitudes un bon religieux dominicain qui a long-temps voyagé et qui s’occupe beaucoup d’histoire naturelle. Ce savant homme dessine et peint en perfection les papillons et les fleurs. Il s’est offert à me donner des leçons, et M. l’abbé assure que j’ai fait, en peu de temps, des progrès extraordinaires ; pour que tu puisses en juger, j’enferme dans cette lettre un petit carré de vélin sur lequel j’ai peint d’après nature un argus violet et jaune lequel est un joli papillon qui ressemble tout-à-fait à une fleur de pensée vivante. Je t’envoie ce souvenir, espérant que tu lui donneras une place dans le coffret où tu gardes les choses qui ont le plus de prix à tes yeux.

« Ce bon père dominicain qui m’enseigne la peinture a parcouru presque toute l’Amérique du Sud, et c’est un plaisir de l’entendre raconter toutes les merveilles qu’il a vues dans ses voyages. Lorsqu’il nous avait parlé à la veillée des plantes et des insectes du Nouveau Monde, M. l’abbé ni moi ne pouvions dormir de la nuit, tant ses récits nous enflammaient l’imagination.

« Te rappelles-tu, ma bonne Clémentine, qu’au moment de me séparer de toi pour bien long-temps, hélas ! je te dis, comme par badinage, qu’une fois parti je ferais peut-être le tour du monde ? Eh bien ! je prophétisais ainsi, sans m’en douter, les événemens de ma vie. Depuis quelque temps, M. l’abbé avait l’esprit travaillé de certaines idées ; j’en étais fort tourmenté aussi, et le jour où nous nous en sommes enfin ouverts l’un à l’autre, tout a été décidé ainsi que notre docte ami le religieux dominicain, nous voulons visiter une partie des Indes occidentales. Ne va pas te figurer, ma bonne petite cousine, que nous partons pour des pays inconnus, habités par des sauvages, et qu’il y a risque de la vie à aller chasser aux papillons dans ces grandes forêts qui recèlent tant d’insectes précieux. Nous nous bornerons à parcourir la Guyane, qui est une des plus belles contrées de la terre, et j’ajouterai, pour te tranquilliser, que deux femmes, deux dames hollandaises, vouées à l’étude de l’histoire naturelle, Mlle de Mérian et sa fille, nous ont déjà donné l’exemple et montré le chemin. Ces savantes personnes