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« Monsieur mon cousin,

« Je vous remercie bien fort de tant de belles remontrances qu’avez faictes et ne doubte point que vous n’y procediez de bonne amitié, quand vous taschez à me réduire au lieu dont je suis party. D’aultant que je ne suys homme versé aux lettres comme vous, je me deporte de satisfaire aux poincts et articles que vous m’alléguez. Tant y a qu’en la cognoissance que Dieu m’a donnée, j’auroys bien de quoy respondre… Vous m’osez reprocher entre aultres choses que nous n’avons nulle discipline ecclesiastique, ny ordre, et que ceulx qui nous enseignent ont introduit une licence pour mestre confusion par-tout ; et cependant je veois (Dieu mercy) que les vices sont mieulx corrigez de par deçà que ne sont pas en toutes vos officialitez. Et quant à la doctrine et qui concerne la religion, combien qu’il y ait plus grande liberté que entre vous, neantmoins, l’on ne souffrira pas que le nom de Dieu soit blasphémé, et que l’on seme les doctrines et mauvaises opinions que cela ne soit reprimé. Et je vous puys alleguer ung exemple qui est à votre grande confusion, puisqu’il le fault dire. C’est que l’on soutient de par de-là un heretique qui merite bien d’estre bruslé par tout où il sera… »


Cet hérétique, Trie va le nommer tout à l’heure : c’est Michel Servet. Il est déjà étrange qu’il le connaisse ; mais une chose plus étrange encore, c’est qu’il connaisse sa doctrine, c’est qu’il en raisonne en théologien, c’est qu’il cite les propres phrases de la Restitution du Christianisme :


« Car combien que nous soyons différens en beaucoup de choses, si avons nous cela commun que en une seule essence de Dieu il y a trois personnes et que le Père a engendré son Fils qui est sa sagesse éternelle devant tout temps, et qu’il a eu sa vertu éternelle qui est son Sainet-Esperit. Or, quand ung homme dira que la Ternité, laquelle nous tenons, est un cerberus et monstre d’enfer et desgorgera toutes les villenies qu’il est possible de penser contre tout ce que l’Escriture nous enseigne de la génération éternelle du Fils de Dieu, et que le Sainct-Esperit est la vertu du Père et du Fils, et se mocquera à gueulle desployée de tout ce que les anciens docteurs en ont dict, je vous prye en quel lieu et estime l’aurez-vous ?… »


Comment Trie peut-il citer des phrases d’un ouvrage qui n’est point encore dans la circulation ? Ce n’est rien encore : cet ouvrage ne portait point de nom d’auteur ni d’imprimeur. Or, Trie sait quel en est l’auteur ; il le nomme et raconte son histoire. Il connaît et désigne jusqu’au nom de l’imprimeur. Enfin, il a l’ouvrage entre ses mains, et en envoie la première feuille à son parent, comme preuve du fait et comme échantillon de la doctrine :


« L’homme dont je vous parle a esté condemné en toutes les églises lesquelles vous reprouvez. Cependant il est souffert entre vous, voire jusques à y faire imprimer ses livres, qui sont si pleins de blasphèmes, qu’il ne fault point que j’en die plus. C’est un Espagnol Portugallois nommé Michaël Servetus de son propre nom, mais il se nomme Villeneufve à présent, faisant le médecin. Il a demeuré