Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/829

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle-même. Il communique des pièces qu’on ne lui demandait pas, et cependant il feint de se les faire arracher par une sorte de violence :

« Tout le reste est bien par deçà, tant le gros livre que les aultres traités escripts de la même main de l’auteur ; mais je vous confesseray une chose, que j’aye eu grand peine à retirer ce que je vous envoye de monsieur Calvin ; non pas qu’il ne desire que tels blasphernes execrables ne soyent reprimez, mais pour ce qu’il luy semble que son debvoir est, quant à luy qui n’a poinct de glaive de justice, de convaincre plustost les heresies par doctrine, que de les poursuyvre par tel moyen ; mais je l’ay tant importuné luy remonstrant le reproche de legiereté qui m’en pourroit advenir s’il ne m’aydoit, qu’en la fin il s’est accordé à me bailler ce que verrez. Au reste j’espere bien quand le cas se demeneroit à bon escient par delà avec le tems recouvrer de luy une rame de papier ou environ, qui est ce que le galant a faict imprimer. Mais il me semble que pour ceste heure vous estes garny d’assez bon gaige et qu’il n’est jà mystère d’avoir plus pour se saisir de sa personne et luy faire son procès. »

Trie ou plutôt Calvin termine ainsi cette lettre mémorable où l’hypocrisie, le fanatisme et la haine réunis forment le plus horrible assemblage :

« Quant de ma part je prye Dieu qu’il luy plaise ouvrir les yeulx à ceulx qui discourent si mal, afin qu’ils approuvent de mieulx juger du desir duquel nous sommes meus[1]. »

Muni par Arneys de toutes ces pièces, Mathieu Ory se rendit chez le cardinal de Tournon, qui habitait alors son château de Roussillon, près Vienne. Là, le cardinal et l’archevêque de Vienne réunis, après avoir pris l’avis de leurs grands-vicaires, de l’inquisiteur et de plusieurs ecclésiastiques et docteurs en théologie, décidèrent « que Michel de Villeneufve médecin, et Balthazard Arnollet libraire, seroient pris au corps, mis et constitués prisonniers pour respondre de leur foy, charges et informations faites contre eux, » Le vibaillif fut averti, et il fut convenu que, pendant que le grand-vicaire de Vienne ferait conduire Arnollet aux prisons de l’archevêché, le vibaillif se chargerait lui-même de l’arrestation de Servet. En effet, il se rendit chez M. de Maugiron, où était Michel de Villeneufve, servant ce seigneur dans sa maladie. Il lui dit « qu’il y avoit au palais Delphinal plusieurs prisonniers malades et blessés, comme aussi à la vérité il y en avoit, et qu’il le prioit de vouloir bien venir avec lui les visiter. » A quoi M. de Villeneufve répondit « que, sans compter que sa profession de la médecine l’obligeoit à faire telles bonnes œuvres, il y estoit encore porté par son bon naturel. » Ils se rendirent donc dans les prisons royales, et, pendant que Servet faisait

  1. Calvin aurait voulu cacher à la postérité cet abus odieux de confiance. Il fait écrire à Trie : Il me semble que j’avois obmis de vous escripre qu’après que vous auriez faict des épistres, qu’il vous plust ne les esgarer afin de me les renvoyer.