Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/849

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à Dieu que tu as blasphémé en voulant effacer les trois personnes qui sont en son essence ; demande pardon au Fils de Dieu que tu as défiguré et comme renié pour sauveur. »

À ce langage composé et hautain, Servet sentit que tout espoir était perdu, et il garda le silence. Il se rappelait sans doute avec amertume la dénonciation aux inquisiteurs de Vienne, démenti irrécusable de cette hypocrite et fastueuse hauteur d’ame dont se parait Calvin devant son ennemi terrassé.

Avant de conduire Servet au supplice, on vint lui lire sa sentence. Il s’écria qu’il avait erré par ignorance, et supplia qu’on le fît périr par l’épée. Farel lui dit alors que, pour obtenir cette grace, il devait avouer sa faute et en témoigner du repentir ; mais rien ne put fléchir sa volonté, et Farel en ressentit une telle colère, qu’il le menaça de ne pas le suivre jusqu’au bûcher, s’il s’obstinait à soutenir son innocence. Servet ne répondit qu’en courbant la tête.

Le cortége traversa la ville, en sortit par la porte Saint-Antoine, et se dirigea vers la place du Champel où était dressé le bûcher. Servet marcha d’un pas ferme, toujours en prière, et s’écriant, comme pour confesser sa foi jusqu’au dernier moment : O Dieu, sauve mon ame ! O Jésus, fils du Dieu éternel, aie pitié de moi !

Arrivé en vue du bûcher, il tomba à genoux et pria Dieu ardemment. Tandis qu’il priait, Farel, s’adressant à la foule du peuple, s’écriait : « Voyez quelle force a Satan, quand il possède quelqu’un. Cet homme est grandement savant, et il a peut-être cru marcher dans la bonne voie, mais il est maintenant possédé du diable ; prenez garde qu’il ne vous en arrive de même. » Lorsque Servet eut achevé de prier et se fut relevé, Farel, espérant encore qu’il rétracterait ses opinions, l’engagea à parler au peuple ; mais Servet se borna à s’écrier : O Dieu ! ô Dieu ! — Sur quoi Farel lui demanda s’il n’avait rien autre à dire. — Que puis-je parler, répondit-il, d’autre chose que de Dieu ? — Farel l’exhorta à invoquer Jésus-Christ, non plus comme fils du Dieu éternel, mais comme fils éternel de Dieu, c’est-à-dire comme verbe incarné, comme homme-Dieu, ce qui eût été une rétractation de sa doctrine ; il refusa constamment. Le bourreau le plaça sur le bûcher, au milieu de fagots de chêne encore verts et de branches d’arbre garnies de leurs feuilles. Un pieu s’élevait au centre du bûcher ; Servet y fut attaché par une chaîne de fer, et son cou y fut fixé par une corde épaisse qui faisait quatre ou cinq tours. On avait placé sur sa tête une couronne de chaume couverte de soufre, et son livre de la Restitution du Christianisme avait été lié à sa cuisse. Il pria le bourreau de ne pas le faire souffrir long-temps. Celui-ci mit d’abord le feu en face du condamné et ensuite tout autour de lui. En voyant s’allumer le bûcher, l’infortuné poussa un cri si déchirant, qu’il glaça tout le peuple de terreur. Il