Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instruit du véritable état des choses, Pierre IV ne partageait pas sa confiance, qu’il taxait de témérité. D’ailleurs, à sa cour même, la fortune si rapide du comte de Trastamare avait excité bien des jalousies. L’infant don Fernand, qui se regardait toujours comme l’héritier présomptif de la couronne de Castille, voyait avec dépit l’ambition croissante d’un homme que le malheur de sa naissance mettait dans un rang si fort au-dessous du sien. Neveu du roi don Alphonse, pouvait-il souffrir qu’un bâtard lui disputât le premier rôle ? Il avait aussi ses partisans secrets dans la Castille ; il se prétendait appelé à la délivrer de don Pèdre, et demandait à Pierre IV le commandement de cette armée qui devait conquérir un royaume. De son côté, don Henri déclarait qu’il ne passerait pas la frontière, si on lui donnait un supérieur. Prières, intrigues, menaces, il n’épargnait rien pour éloigner son rival d’une proie qu’il pensait déjà tenir. Entre les prétentions d’un frère qu’il détestait et celles de l’aventurier dont les services lui avaient été déjà si utiles, le roi d’Aragon ne pouvait long-temps hésiter. Quelle que fût la haine qu’il portait à don Pèdre, il n’aurait jamais voulu la ruine de ce prince, si elle eût servi à l’élévation de don Fernand. À ses yeux, l’infant était encore un ennemi, un rebelle, et il n’avait jamais perdu le souvenir de son alliance avec les révoltés de l’Union. Lui donner un royaume, c’était armer contre lui un rival plus dangereux peut-être que n’était don Pèdre. Au contraire, il ne voyait dans le comte de Trastamare qu’un soldat de fortune, instrument docile de ses desseins, dont l’ambition subalterne serait toujours facile à contenter. Ce fut donc à don Henri qu’il donna le commandement de l’expédition contre la Castille. Au titre de son procurateur, il joignit les pouvoirs les plus amples pour traiter avec les riches-hommes et les communes, engageant sa parole royale de ne faire ni paix ni trêve avec don Pèdre sans stipuler en faveur des alliés qui se rallieraient autour de sa bannière[1]. Pendant que don Henri réunissait ses troupes dans le bas Aragon, Pierre IV retenait l’infant sur la frontière de Murcie, et l’amusait avec l’espoir d’une autre expédition plus importante et plus digne de lui.


II.

Au milieu de ces préparatifs et des escarmouches continuelles dont la frontière était le théâtre, le légat Gui de Boulogne poursuivait sa mission de paix avec une infatigable persévérance ; se flattant que la défaite d’Araviana aurait inspiré à don Pèdre de salutaires réflexions, il redoubla auprès de lui ses instances, et finit par obtenir qu’il nommât deux plénipotentiaires pour traiter d’un accord avec le roi d’Aragon. Ce

  1. Arch. gen. de Ar., instructions et pouvoirs donnés au comte de Trastamare. Tarazona, 1er mars 1360. Reg. 1170, p. 29. V. Appendice.