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à l’école des homérides ; Homère ne lui avait jamais semblé, non plus que Teuth et Hermès, qu’une grande abstraction mythologique. Wolf, après cela, venait un peu tard. A quoi bon ses patientes recherches, s’il avait suffi de vagues rêveries pour conduire aux mêmes vérités ? Wolf ne put souffrir de voir son œuvre dépouillée de tout caractère scientifique et réduite à n’être plus qu’une brillante hypothèse ; il répliqua vivement dans la Gazette littéraire de Iéna. L’épanchement donné à sa mauvaise humeur ne suffit pas à l’apaiser ; quand plus tard Fichte lui fit savoir qu’il avait été amené par ses études esthétiques à reconnaître la vérité des conclusions posées dans les Prolégomènes, Wolf reçut ses avances avec quelque dédain. Il fallut bien cependant qu’il renonçât à ses préventions, lorsque Fichte eut développé sa pensée dans une lettre écrite avec déférence et franchise, l’un des plus beaux hommages peut-être qui aient été rendus à la science au nom de la philosophie.

Pour réparer le mauvais effet produit par l’article de Herder, Wolf avait fait appel au juge le plus compétent, à Heyne. Il croyait pouvoir compter de sa part sur une appréciation désintéressée ; une surprise pénible l’attendait. Avant que sa lettre fût parvenue à Goettingue, il lut dans le journal de cette ville nue analyse des Prolégomènes, dans laquelle on présentait ses découvertes comme la plus simple chose du monde. La question de l’écriture avait été débattue depuis long-temps, et tout le reste n’en était que la conséquence probable. On ne faisait pas difficulté de reconnaître l’érudition et l’excellente méthode de l’auteur, mais la meilleure, part des éloges devait revenir à Villoisono. L’article était de Heyne. Wolf ne se demanda pas s’il était temps encore de le ramener à un jugement plus équitable ; il écrivit coup sur coup deux lettres de remercîmens ironiques qui consommèrent la rupture. Heyne, sans répondre directement, fit insérer dans la Gazette de Goettingue un nouvel article. Cette fois il allait plus loin : il prétendait avoir deviné lui-même, trente ans à l’avance, le problème homérique, et en avoir indiqué la solution dans ses leçons et dans ses écrits. Wolf était anal préparé à une accusation de plagiat. Sa colère ne connut plus de bornes. Il publia deux lettres nouvelles, où, sans égard pour l’illustration ni pour l’âge de son adversaire, il l’accable de sarcasmes et quelquefois d’invectives. Afin de l’opposer à lui-même, Wolf avait parcouru ses innombrables écrits ; il le fit voir partout fidèle à la tradition de l’école et étranger à toute pensée d’innovation. N’y a-t-il donc aucun moyen de décharger d’un grave reproche la vie restée pure d’ailleurs de Heyne ? Tout le monde a eu de ces idées confuses que l’on croit reconnaître aussitôt qu’un autre les exprime, et peut-être sera-t-on plus disposé à s’expliquer ainsi l’illusion de Heyne, si l’on songe de quel intérêt il y allait pour lui. Depuis vingt ans il faisait des cours sur Homère, et il fallait qu’il reçût à son tour des leçons de cet élève qu’il se