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mille florins et la main d’une riche héritière d’Aragon achevèrent de lever ses scrupules[1].

Don Pèdre n’était point encore arrivé à Burgos, lorsqu’il apprit que le comte de Trastamare et ses deux frères, don Tello et don Sanche, étaient entrés en Castille avec quinze cents lances et environ deux mille fantassins, la plupart émigrés ou vassaux du comte d’Osuna, riche-homme d’Aragon, fils du ministre Bernal de Cabrera. Longeant la frontière navarraise, cette petite armée remonta la rive droite de l’Èbre et s’avança jusqu’à Pancorbo. Autant qu’on en peut juger aujourd’hui, le dessein du Comte était d’insurger le nord de la Castille, de rallier dans les provinces basques les partisans de don Tello, et de venir dans le royaume de Léon donner la main à Pero Nuñez de Guzman. Ses soldats, mal payés et sans discipline, se livraient dans leur marche aux excès les plus révoltans. A Najera, ils avaient massacré tous les Juifs, de concert avec les habitans chrétiens, que le Comte encourageait à cette boucherie, afin de les attacher à sa cause en les compromettant[2]. Quelques riches-hommes lui ouvrirent leurs châteaux, d’autres vinrent le joindre avec leurs hommes d’armes ; mais la masse de la population accueillait avec répugnance une armée qui promenait autour d’elle le pillage et l’incendie. D’ailleurs, nul obstacle sérieux sur son passage. Don Pèdre, arrivé malade à Burgos, ne pouvait encore prendre le commandement des troupes qu’il rassemblait autour de cette ville, et ses lieutenans, hors de sa présence, n’étaient jamais pressés d’agir.

Le malheur n’avait pas uni entre eux les fils de doña Léonor. On a déjà vu don Henri et don Tello se tromper et se trahir l’un l’autre. Quelquefois rapprochés par un danger commun, ils agissent de concert ; mais ils sont toujours prêts à violer leurs sermens d’alliance suivant leurs avantages particuliers. Don Tello, jaloux de son aîné, n’avait jamais eu d’autre but que de se faire une suzeraineté indépendante comme celle qu’il avait autrefois possédée en Biscaïe ; en ce moment

  1. Ayala, p. 299, Zurita, t. II, p. 298, Carbonell, p. 188, rapportent que la reddition de Tarazona eut lieu au commencement de l’année 1360. Une lettre du roi d’Aragon à Diego Perez Sarmiento, en date du 28 février 1360, annonce la prise de cette place, dans laquelle il venait d’entrer. Arch. gen. de Ar., registre 1170 Secretorum, p. 26. Mais, dès le 5 décembre 1357, il signait à Gonzalez Lucio, vassal du roi de Castille, et à Suer Garcia Suarez de Tolède, écuyer, la promesse de 40,000 florins de bon or, payables à Tudela en Navarre, à la condition qu’ils lui livreraient Tarazona, et pour les grandes dépenses qu’ils ont faites et font chaque jour à son service : por raho de gran costa que havedes fecho e fazedes de cada dia en nuestro servizio. Arch. gen. de Ar., registre 1293 Secretorum, p. 57. A la même date, le roi promet à Suer Suarez 10,000 florins, probablement pour sa part dans les 40,000, prix de la reddition de Tarazona. (Même registre, p. 58.) Il parait que le roi d’Aragon, fort à court d’argent, ne put payer Lucio qu’en 1360.
  2. Ayala, p. 301.